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SOMNAMBULES.

J’ai lu l’article Songe dans le Dictionnaire encyclopédique, et je n’y ai rien compris. Mais quand je recherche la cause de mes idées et de mes actions dans le sommeil et dans la veille, je n’y comprends pas davantage.

Je sais bien qu’un raisonneur qui voudrait me prouver que quand je veille, et que je ne suis ni frénétique ni ivre, je suis alors un animal agent, ne laisserait pas de m’embarrasser.

Mais je l’embarrasserais bien davantage en lui prouvant que, quand il dort, il est entièrement patient, pur automate.

Or dites-moi ce que c’est qu’un animal qui est absolument machine la moitié de sa vie, et qui change de nature deux fois en vingt-quatre heures.


SECTION II[1].


SECTION III.
DES SONGES[2].


Somnia, quæ mentes ludunt volitantibus umbris,
Non delubra deum nec ab æthere numina mittunt.
Sed sibi quisque facit.

(Pétrone, ch. civ, vers 1-3.)

Mais comment, tous les sens étant morts dans le sommeil, y en a-t-il un interne qui est vivant ? Comment vos yeux ne voyant plus, vos oreilles n’entendant rien, voyez-vous cependant et entendez-vous dans vos rêves ? Le chien est à la chasse en songe, il aboie, il suit sa proie, il est à la curée. Le poëte fait des vers en dormant. Le mathématicien voit des figures ; le métaphysicien raisonne bien ou mal : on en a des exemples frappants.

Sont-ce les seuls organes de la machine qui agissent ? Est-ce l’âme pure qui, soustraite à l’empire des sens, jouit de ses droits en liberté ?

Si les organes seuls produisent les rêves de la nuit, pourquoi ne produiront-ils pas seuls les idées du jour ? Si l’âme pure, tranquille dans le repos des sens, agissant par elle-même, est l’unique

cause, le sujet unique de toutes les idées que vous avez en dor-

  1. Dans les éditions de Kehl, et autres, la seconde section se composait de la Lettre aux auteurs de la Gazette littéraire, dont il a été parlé dans la note de la page 431.
  2. Dans le Dictionnaire philosophique de 1764, l’article Songes était composé de cette seule section. (B.)