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RAVAILLAC.



RAVAILLAC[1].


J’ai connu dans mon enfance un chanoine de Péronne, âgé de quatre-vingt-douze ans, qui avait été élevé par un des plus furieux bourgeois de la Ligue. Il disait toujours : Feu monsieur de Ravaillac. Ce chanoine avait conservé plusieurs manuscrits très-curieux de ces temps apostoliques, quoiqu’ils ne fissent pas beaucoup d’honneur à son parti ; en voici un qu’il laissa à mon oncle.


DIALOGUE


D’UN PAGE DU DUC DE SULLY, ET DE MAÎTRE FILESAC, DOCTEUR DE SORBONNE,
L’UN DES DEUX CONFESSEURS DE RAVAILLAC.


maître filesac.

Dieu merci, mon cher enfant, Ravaillac est mort comme un saint. Je l’ai entendu en confession ; il s’est repenti de son péché, et a fait un ferme propos de n’y plus retomber. Il voulait recevoir la sainte communion ; mais ce n’est pas ici l’usage comme à Rome : sa pénitence lui en a tenu lieu, et il est certain qu’il est en paradis.

le page.

Lui, en paradis ? dans le jardin ? lui ! ce monstre !

maître filesac.

Oui, mon bel enfant, dans le jardin, dans le ciel, c’est la même chose.

le page.

Je le veux croire ; mais il a pris un mauvais chemin pour y arriver.

maître filesac.

Vous parlez en jeune huguenot. Apprenez que ce que je vous dis est de foi. Il a eu l’attrition ; et cette attrition, jointe au sacrement de confession, opère immanquablement salvation, qui mène droit en paradis, où il prie maintenant Dieu pour vous.

le page.

Je ne veux point du tout qu’il parle à Dieu de moi. Qu’il aille au diable avec ses prières et son attrition !

maître filesac.

Dans le fond c’était une bonne âme. Son zèle l’a emporté, il a

  1. Questions sur l’Encyclopédie, huitième partie. 1771. (B.)