Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome20.djvu/340

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
330
QUISQUIS. LANGLEVIEL.

Une fois, il s’est avisé de faire le plaisant dans une brochure contre l’Histoire de Henri IV[1]. Quelle plaisanterie !

« Je lis avec un charme infini, dans l’Histoire du Mogol[2], que le petit-fils de Sha-Abas fut bercé pendant sept ans par des femmes, qu’ensuite il fut bercé pendant huit ans par des hommes ; qu’on l’accoutuma de bonne heure à s’adorer lui-même et à se croire formé d’un autre limon que ses sujets ; que tout ce qui l’environnait avait ordre de lui épargner le pénible soin d’agir, de penser, de vouloir, et de le rendre inhabile à toutes les fonctions du corps et de l’âme ; qu’en conséquence un prêtre le dispensait de la fatigue de prier de sa bouche le grand Être ; que certains officiers étaient préposés pour lui mâcher noblement, comme dit Rabelais, le peu de paroles qu’il avait à prononcer ; que d’autres lui tâtaient le pouls trois ou quatre fois le jour comme à un agonisant ; qu’à son lever, qu’à son coucher, trente seigneurs accouraient, l’un pour lui dénouer l’aiguillette, l’autre pour le déconstiper, celui-ci pour l’accoutrer d’une chemise, celui-là pour l’armer d’un cimeterre, chacun pour s’emparer du membre dont il avait la surintendance. Ces particularités me plaisent, parce qu’elles me donnent une idée nette du caractère des Indiens, et d’ailleurs elles me font assez entrevoir celui du petit-fils de Sha-Abas, pour me dispenser de lire tant d’épais volumes que les Indiens ont écrits sur les faits et gestes de cet empereur automate. »

Cet homme est bien mal instruit de l’éducation des princes mogols. Ils sont à trois ans entre les mains des eunuques, et non entre les mains des femmes. Il n’y a point de seigneurs à leur lever et à leur coucher ; on ne leur dénoue point l’aiguillette. On voit assez qui l’auteur veut désigner. Mais reconnaîtra-t-on à ce portrait le fondateur des Invalides, de l’Observatoire, de Saint-Cyr ; le protecteur généreux d’une famille royale infortunée ; le conquérant de la Franche-Comté, de la Flandre française, le fondateur de la marine, le rémunérateur éclairé de tous les arts utiles ou agréables ; le législateur de la France qui reçut son royaume dans le plus horrible désordre, et qui le mit au plus haut point de la gloire et de la grandeur ; enfin le roi que don Ustariz, cet homme d’État si estimé, appelle un homme prodigieux, malgré des défauts inséparables de la nature humaine ?

Y reconnaîtra-t-on le vainqueur de Fontenoy et de Laufeldt,

  1. Examen de la nouvelle Histoire de Henri IV. Voyez la note, tome XV, sur le chapitre xxix de l’Histoire du Parlement.
  2. Pages 24, 25. (Note de Voltaire.)