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QUÊTE.

Mais une chose plus singulière encore, c’est le tribunal de l’Inquisition, dont ils se chargèrent. On sait que dans ce tribunal odieux il y a capture de criminels, prison, torture, condamnations, confiscations, peines infamantes et fort souvent corporelles par le bras séculier. Il est sans doute bien étrange de voir des religieux, faisant profession de l’humilité la plus profonde et de la pauvreté la plus exacte, transformés tout d’un coup en juges criminels, ayant des appariteurs et des familiers armés, c’est-à-dire des gardes et des trésors à leur disposition, se rendant ainsi terribles à toute la terre.

Nous glissons sur le mépris du travail des mains, qui attire l’oisiveté chez les mendiants comme chez les autres religieux. De là cette vie vagabonde que saint Bonaventure reproche à ses frères, lesquels, dit-il, sont à charge à leurs hôtes, et scandalisent au lieu d’édifier. Leur importunité à demander fait craindre leur rencontre comme celle des voleurs. En effet, cette importunité est une espèce de violence à laquelle peu de gens savent résister, surtout à l’égard de ceux dont l’habit et la profession ont attiré du respect ; et d’ailleurs c’est une suite naturelle de la mendicité, car enfin il faut vivre. D’abord la faim et les autres besoins pressants font vaincre la pudeur d’une éducation honnête ; et quand une fois on a franchi cette barrière, on se fait un mérite et un honneur d’avoir plus d’industrie qu’un autre à attirer les aumônes.

La grandeur et la curiosité des bâtiments, ajoute le même saint, incommodent nos amis qui fournissent à la dépense, et nous exposent aux mauvais jugements des hommes. Ces frères, dit aussi Pierre Desvignes, qui dans la naissance de leur religion semblaient fouler aux pieds la gloire du monde, reprennent le faste qu’ils ont quitté ; n’ayant rien, ils possèdent tout, et sont plus riches que les riches mêmes. On connaît ce mot de Dufresny à Louis XIV : « Sire, je ne regarde jamais le nouveau Louvre sans m’écrier : Superbe monument de la magnificence d’un des plus grands rois qui de son nom ait rempli la terre, palais digne de nos monarques, vous seriez achevé si l’on vous avait donné à l’un des quatre ordres mendiants pour tenir ses chapitres et loger son général. »

Quant à leur avidité des sépultures et des testaments, Matthieu Paris l’a peinte en ces termes : Ils sont soigneux d’assister à la mort des grands, au préjudice des pasteurs ordinaires ; ils sont avides de gain, et extorquent des testaments secrets ; ils ne recommandent que leur ordre, et le préfèrent à tous les autres. Sauval rapporte aussi qu’en 1502 Gilles Dauphin, général des cordeliers, en considération des bienfaits que son ordre avait