Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome20.djvu/326

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
316
QUÊTE.

des biens temporels en particulier et en commun qu’au chapitre général que saint François tint près d’Assise en 1219, où il se trouva plus de cinq mille frères mineurs qui campèrent en rase campagne, ils ne manquèrent de rien par la charité des villes voisines. On voyait accourir de tous les pays les ecclésiastiques, les laïques, la noblesse, le petit peuple, et non-seulement leur fournir les choses nécessaires, mais s’empresser à les servir de leurs propres mains avec une sainte émulation d’humilité et de charité.

Saint François, par son testament, avait fait une défense expresse à ses disciples de demander au pape aucun privilége, et de donner aucune explication à sa règle ; mais quatre ans après sa mort, dans un chapitre assemblé l’an 1230, ils obtinrent du pape Grégoire IX une bulle qui déclare qu’ils ne sont point obligés à l’observation de son testament, et qui explique la règle en plusieurs articles. Ainsi le travail des mains, si recommandé dans l’Écriture et si bien pratiqué par les premiers moines, est devenu odieux ; et la mendicité, odieuse auparavant, est devenue honorable.

Aussi, trente ans après la mort de saint François, on remarquait déjà un relâchement extrême dans les ordres de sa fondation. Nous n’en citerons pour preuve que le témoignage de saint Bonaventure, qui ne peut être suspect. C’est dans la lettre qu’il écrivit en 1257, étant général de l’ordre, à tous les provinciaux et les gardiens. Cette lettre est dans ses Opuscules, tome II, page 352. Il se plaint de la multitude des affaires pour lesquelles ils requéraient de l’argent, de l’oisiveté de divers frères, de leur vie vagabonde, de leurs importunités à demander, des grands bâtiments qu’ils élevaient, enfin de leur avidité des sépultures et des testaments. Saint Bonaventure n’est pas le seul qui se soit élevé contre ces abus, puisque M. Camus, évêque de Belley, observe que le seul ordre des minoritains a souffert plus de vingt-cinq réformes en quatre cents ans. Disons un mot sur chacun de ces griefs, que tant de réformes n’ont pu déraciner encore.

Les frères mendiants, sous prétexte de charité, se mêlaient de toutes sortes d’affaires publiques et particulières. Ils entraient dans le secret des familles, et se chargeaient de l’exécution des testaments ; ils prenaient des députations pour négocier la paix entre les villes et les princes. Les papes surtout leur donnaient volontiers des commissions, comme à des gens sans conséquence, qui voyageaient à peu de frais, et qui leur étaient entièrement dévoués ; ils les employaient même quelquefois à des levées de deniers.