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POURQUOI (LES).

Pyrénées et la mer, avait employé à l’amélioration et à l’embellissement du pays la dixième partie de l’argent qu’elle a perdu dans la guerre de 1741, et la moitié des hommes tués inutilement en Allemagne, l’État aurait été plus florissant. Pourquoi ne l’a-t-on pas fait ? Pourquoi préférer une guerre que l’Europe regardait comme injuste aux travaux heureux de la paix, qui auraient produit l’agréable et l’utile ?

Pourquoi Louis XIV, qui avait tant de goût pour les grands monuments, pour les fondations, pour les beaux-arts, perdit-il huit cents millions de notre monnaie d’aujourd’hui à voir ses cuirassiers et sa maison passer le Rhin à la nage, à ne point prendre Amsterdam, à soulever contre lui presque toute l’Europe ? Que n’aurait-il point fait avec ses huit cents millions ?

Pourquoi, lorsqu’il réforma la jurisprudence, ne fut-elle réformée qu’à moitié ? Tant d’anciens usages fondés sur les décrétales et sur le droit canon devaient-ils subsister encore ? Était-il nécessaire que, dans tant de causes qu’on appelle ecclésiastiques, et qui au fond sont civiles, on appelât à son évêque, de son évêque au métropolitain, du métropolitain au primat, du primat à Rome ad apostolos, comme si les apôtres avaient été autrefois les juges des Gaules en dernier ressort ?

Pourquoi, lorsque Louis XIV fut outragé par le pape Alexandre VII, Chigi, s’amusa-t-il à faire venir un légat en France pour lui faire de frivoles excuses, et à dresser dans Rome une pyramide dont les inscriptions ne regardaient que les archers du guet de Rome ; pyramide qu’il fit démolir bientôt après ? Ne valait-il pas mieux abolir pour jamais la simonie, par laquelle tout évêque des Gaules et tout abbé paye à la chambre apostolique italienne la moitié de son revenu ?

Pourquoi le même monarque, bien plus outragé par Innocent XI, Odescalchi, qui prenait contre lui le parti du prince d’Orange, se contenta-t-il de faire soutenir quatre propositions dans ses universités, et se refusa-t-il aux vœux de toute la magistrature qui sollicitait une rupture éternelle avec la cour romaine ?

Pourquoi, en faisant des lois, oublia-t-on de ranger toutes les provinces du royaume sous une loi uniforme, et laissa-t-on subsister cent quarante coutumes, cent quarante-quatre mesures différentes ?

Pourquoi les provinces de ce royaume furent-elles toujours réputées étrangères l’une à l’autre, de sorte que les marchandises de Normandie, transportées par terre en Bretagne, payent des droits comme si elles venaient d’Angleterre ?