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LOIS (ESPRIT DES).

pourquoi nous avons déjà remarqué quֹ’une dame qui avait autant d’esprit que Montesquieu disait que son livre était de l’esprit sur les lois[1]. On ne l’a jamais mieux défini.

Une raison beaucoup plus forte encore, c’est que ce livre, plein de grandes vues, attaque la tyrannie, la superstition, et la maltôte, trois choses que les hommes détestent. L’auteur console des esclaves en plaignant leurs fers ; et les esclaves le bénissent.

Ce qui lui a valu les applaudissements de l’Europe lui a valu aussi les invectives des fanatiques.

Un de ses plus acharnés et de ses plus absurdes ennemis, qui contribua le plus par ses fureurs à faire respecter le nom de Montesquieu dans l’Europe, fut le gazetier des convulsionnaires. Il le traita de spinosiste et de déiste, c’est-à-dire il l’accuse de ne pas croire en Dieu, et de croire en Dieu.

Il lui reproche d’avoir estimé Marc-Aurèle, Épictète, et les stoïciens, et de n’avoir jamais loué Jansénius, l’abbé de Saint-Cyran, et le P. Quesnel.

Il lui fait un crime irrémissible d’avoir dit que Bayle est un grand homme.

Il prétend que l’Esprit des lois est un de ces ouvrages monstrueux dont la France n’est inondée que depuis la bulle Unigenitus, qui a corrompu toutes les consciences.

Ce gredin, qui de son grenier tirait au moins trois cents pour cent de sa Gazette ecclésiastique, déclama comme un ignorant contre l’intérêt de l’argent au taux du roi. Il fut secondé par quelques cuistres de son espèce : ils finirent par ressembler aux esclaves qui sont aux pieds de la statue de Louis XIV : ils sont écrasés, et ils se mordent les mains.

Montesquieu a presque toujours tort avec les savants, parce qu’il ne l’était pas ; mais il a toujours raison contre les fanatiques et contre les promoteurs de l’esclavage : l’Europe lui en doit d’éternels remerciements[2].

On nous demande pourquoi donc nous avons relevé tant de fautes dans son ouvrage. Nous répondons : C’est parce que nous aimons la vérité, à laquelle nous devons les premiers égards. Nous ajoutons que les fanatiques ignorants qui ont écrit contre lui avec tant d’amertume et d’insolence n’ont connu aucune de

  1. Dans sa lettre au duc d’Uzès, du 14 septembre 1752, Voltaire cite ce mot de Mme du Deffant.
  2. Fin de l’article en 1771 : ce qui suit fut ajouté en 1774. (B.)