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PAUL.

qu’on prétend avoir été liés d’une étroite amitié à la cour de Néron. La septième lettre de Sénèque à Paul est très-curieuse. Il lui dit que les Juifs et les chrétiens sont souvent condamnés au supplice comme incendiaires de Rome. « Christiani et Judæi, tanquam machinatores incendii, supplicio affici solent. » Il est vraisemblable en effet que les Juifs et les chrétiens, qui se haïssaient avec fureur, s’accusèrent réciproquement d’avoir mis le feu à la ville ; et que le mépris et l’horreur qu’on avait pour les Juifs, dont on ne distinguait point les chrétiens, les livrèrent également les uns et les autres à la vengeance publique.

Nous sommes forcés d’avouer que le commerce épistolaire de Sénèque et de Paul est dans un latin ridicule et barbare ; que les sujets de ces lettres paraissent aussi impertinents que le style ; qu’on les regarde aujourd’hui comme des actes de faussaires. Mais aussi comment ose-t-on contredire le témoignage de saint Jérôme et de saint Augustin ? Si ces monuments attestés par eux ne sont que de viles impostures, quelle sûreté aurons-nous pour les autres écrits plus respectables ? C’est la grande objection de plusieurs savants personnages. Si on nous a trompés indignement, disent-ils, sur les lettres de Paul et de Sénèque, sur les Constitutions apostoliques, et sur les Actes de saint Pierre, pourquoi ne nous aura-t-on pas trompés de même sur les Actes des apôtres ? Le jugement de l’Église et la foi sont les réponses péremptoires à toutes ces recherches de la science, et à tous les raisonnements de l’esprit.

On ne sait pas sur quel fondement Abdias, premier évêque de Babylone, dit, dans son Histoire des apôtres, que saint Paul fit lapider saint Jacques le Mineur par le peuple. Mais avant qu’il se fût converti, il se peut très-facilement qu’il eût persécuté saint Jacques aussi bien que saint Étienne. Il était très-violent ; il est dit dans les Actes des apôtres[1] qu’il respirait le sang et le carnage. Aussi Abdias a soin d’observer que « l’auteur de la sédition dans laquelle saint Jacques fut si cruellement traité était ce même Paul que Dieu appela depuis au ministère de l’apostolat[2] ».

Ce livre attribué à l’évêque Abdias n’est point admis dans le canon ; cependant Jules Africain, qui l’a traduit en latin, le croit authentique. Dès que l’Église ne l’a pas reçu, il ne faut pas le recevoir. Bornons-nous à bénir la Providence, et à souhaiter que tous les persécuteurs soient changés en apôtres charitables et compatissants.

  1. Chapitre ix, v. 1. (Note de Voltaire.)
  2. Apostolica Historia, lib. VI, pages 595 et 596, Fabric. codex. (Id.)