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PARADIS.
le papiste.

Mais, monsieur, ils ne croient point à l’éternité des peines.

le trésorier.

Ni moi non plus ; soyez damné à jamais si vous voulez ; pour moi, je ne compte point du tout l’être.

le papiste.

Ah ! monsieur, il est bien dur de ne pouvoir damner à son plaisir tous les hérétiques de ce monde ! Mais la rage qu’ont les unitaires de rendre un jour les âmes heureuses n’est pas ma seule peine. Vous savez que ces monstres-là ne croient pas plus à la résurrection des corps que les saducéens ; ils disent que nous sommes tous anthropophages, que les particules qui composaient votre grand-père et votre bisaïeul, ayant été nécessairement dispersées dans l’atmosphère, sont devenues carottes et asperges, et qu’il est impossible que vous n’ayez mangé quelques petits morceaux de vos ancêtres.

le trésorier.

Soit ; mes petits-enfants en feront autant de moi, ce ne sera qu’un rendu ; il en arrivera autant aux papistes. Ce n’est pas une raison pour qu’on vous chasse des États de monseigneur, ce n’est pas une raison non plus pour qu’il en chasse les unitaires. Ressuscitez comme vous pourrez ; il m’importe fort peu que les unitaires ressuscitent ou non, pourvu qu’ils nous soient utiles pendant leur vie.

le papiste.

Et que direz-vous, monsieur, du péché originel qu’ils nient effrontément ? N’êtes-vous pas tout scandalisé quand ils assurent que le Pentateuque n’en dit pas un mot ; que l’évêque d’Hippone, saint Augustin, est le premier qui ait enseigné positivement ce dogme, quoiqu’il soit évidemment indiqué par saint Paul ?

le trésorier.

Ma foi, si le Pentateuque n’en a point parlé, ce n’est pas ma faute ; pourquoi n’ajoutiez-vous pas un petit mot du péché originel dans l’Ancien Testament, comme vous y avez, dit-on, ajouté tant d’autres choses ? Je n’entends rien à ces subtilités. Mon métier est de vous payer régulièrement vos gages quand j’ai de l’argent...



PARADIS[1].


Paradis : il n’y a guère de mot dont la signification se soit plus écartée de son étymologie. On sait assez qu’originairement il

  1. Questions sur l’Encyclopédie, neuvième partie, 1772. (B.)