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ORIGINEL (PÉCHÉ).

ne voulait point qu’on les baptisât. Or leur refuser ce bain sacré, c’eût été les livrer visiblement à la damnation, si on avait été persuadé que le péché originel (dont ces pauvres innocents ne pouvaient être coupables) opérât leur réprobation et leur fît souffrir des supplices infinis pendant toute l’éternité, pour un fait dont il était impossible qu’ils eussent la moindre connaissance. Les âmes de tous les bourreaux, fondues ensemble, n’auraient pu rien imaginer qui approchât d’une horreur si exécrable. En un mot, il est de fait qu’on ne baptisait pas les enfants : donc il est démontré qu’on était bien loin de les damner.

Il y a bien plus encore : Jésus-Christ n’a jamais dit : L’enfant non baptisé sera damné[1]. Il était venu au contraire pour expier tous les péchés, pour racheter le genre humain par son sang : donc les petits enfants ne pouvaient être damnés. Les enfants au berceau étaient à bien plus forte raison privilégiés. Notre divin Sauveur ne baptisa jamais personne. Paul circoncit son disciple Timothée, et il n’est point dit qu’il le baptisa.

En un mot, dans les deux premiers siècles, le baptême des enfants ne fut point en usage : donc on ne croyait point que des enfants fussent victimes de la faute d’Adam. Au bout de quatre cents ans on crut leur salut en danger, et on fut fort incertain.

Enfin Pélage vint au ve siècle ; il traita l’opinion du péché originel de monstrueuse. Selon lui, ce dogme n’était fondé que sur une équivoque, comme toutes les autres opinions.

Dieu avait dit à Adam dans le jardin : « Le jour que vous mangerez du fruit de l’arbre de la science, vous mourrez. » Or il n’en mourut pas, et Dieu lui pardonna. Pourquoi donc n’aurait-il pas épargné sa race à la millième génération ? Pourquoi livrerait-il à des tourments infinis et éternels les petits-enfants innocents d’un père qu’il avait reçu en grâce ?

Pélage regardait Dieu non-seulement comme un maître absolu, mais comme un père qui, laissant la liberté à ses enfants, les récompensait au delà de leurs mérites, et les punissait au-dessous de leurs fautes.

Lui et ses disciples disaient : Si tous les hommes naissent les objets de la colère éternelle de celui qui leur donne la vie ; si avant de penser ils sont coupables, c’est donc un crime affreux de les mettre au monde, le mariage est donc le plus horrible des

  1. Dans saint Jean, Jésus dit à Nicodème, chapitre iii, que le vent, l’esprit souffle où il veut, que personne ne sait où il va, qu’il faut renaître, qu’on ne peut entrer dans le royaume de Dieu si on ne renaît par l’eau et par l’esprit ; mais il ne parle point des enfants. (Note de Voltaire.)