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ONAN, ONANISME.

Nous avons beaucoup parlé d’âme dans nos Questions, et nous avons toujours confessé notre ignorance. Je ratifie aujourd’hui cette confession avec d’autant plus d’empressement qu’ayant depuis ce temps beaucoup plus lu, plus médité, et étant plus instruit, je suis plus en état d’affirmer que je ne sais rien.



ONAN, ONANISME[1].


Nous avons promis à l’article Amour socratique de parler d’Onan et de l’onanisme, quoique cet onanisme n’ait rien de commun avec l’amour socratique, et qu’il soit plutôt un effet très-désordonné de l’amour-propre.

La race d’Onan a de très-grandes singularités. Le patriarche Juda son père coucha, comme on sait, avec sa belle-fille Thamar la Phénicienne, dans un grand chemin. Jacob, père de Juda, avait été à la fois le mari de deux sœurs filles d’un idolâtre, et il avait trompé son père et son beau-père. Loth, grand-oncle de Jacob, avait couché avec ses deux filles. Salmon, l’un des descendants de Jacob et de Juda, épousa Rahab la Chananéenne, prostituée. Booz, fils de Salmon et de Rahab, reçut dans son lit Ruth la Madianite, et fut bisaïeul de David. David enleva Bethsabée au capitaine Uriah son mari, qu’il fit assassiner pour être plus libre dans ses amours. Enfin dans les deux généalogies de notre Seigneur Jésus-Christ, si différentes en plusieurs points, mais entièrement semblables en ceux-ci, on voit qu’il naquit de cette foule de fornications, d’adultères et d’incestes. Rien n’est plus propre à confondre la prudence humaine, à humilier notre esprit borné, à nous convaincre que les voies de la Providence ne sont pas nos voies.

Le révérend père dom Calmet fait cette réflexion à propos de l’inceste de Juda avec Thamar et du péché d’Onan, chap. xxxviii de la Genèse : « L’Écriture, dit-il, nous donne le détail d’une histoire qui, dans le premier sens qui frappe l’esprit, ne paraît pas fort propre à édifier ; mais le sens caché et mystérieux qu’elle renferme est aussi élevé que celui de la lettre paraît bas aux yeux de la chair. Ce n’est pas sans de bonnes raisons que le Saint-Esprit a permis que l’histoire de Thamar, de Rahab, de

  1. Cet article ne parut qu’en 1774, dans l’édition in-4o des Questions sur l’Encyclopédie. Cependant, dès 1770, un renvoi mis dans l’article Amour socratique le rendait nécessaire. (B.)