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MOÏSE.

4° Si Moïse avait écrit le Lévitique, aurait-il pu se contredire dans le Deutéronome ? Le Lévitique défend d’épouser la femme de son frère, le Deutéronome l’ordonne.

5° Moïse aurait-il parlé dans son livre des villes qui n’existaient pas de son temps ? Aurait-il dit que des villes qui étaient pour lui à l’orient du Jourdain étaient à l’occident ?

6° Aurait-il assigné quarante-huit villes aux lévites dans un pays où il n’y a jamais eu dix villes, et dans un désert où il a toujours erré sans avoir une maison ?

7° Aurait-il prescrit des règles pour les rois juifs, tandis que non-seulement il n’y avait point de rois chez ce peuple, mais qu’ils étaient en horreur, et qu’il n’était pas probable qu’il y en eût jamais ? Quoi ! Moïse aurait donné des préceptes pour la conduite des rois qui ne vinrent qu’environ cinq cents années après lui, et il n’aurait rien dit pour les juges et les pontifes qui lui succédèrent ? Cette réflexion ne conduit-elle pas à croire que le Pentateuque a été composé du temps des rois, et que les cérémonies instituées par Moïse n’avaient été qu’une tradition ?

8° Se pourrait-il faire qu’il eût dit aux Juifs : Je vous ai fait sortir au nombre de six cent mille combattants de la terre d’Égypte, sous la protection de votre Dieu ? Les Juifs ne lui auraient-ils pas répondu : Il faut que vous ayez été bien timide pour ne nous pas mener contre le Pharaon d’Égypte ; il ne pouvait pas nous opposer une armée de deux cent mille hommes. Jamais l’Égypte n’a eu tant de soldats sur pied : nous l’aurions vaincu sans peine, nous serions les maîtres de son pays ? Quoi ! le dieu qui vous parle a égorgé, pour nous faire plaisir, tous les premiers-nés d’Égypte, et s’il y a dans ce pays-là trois cent mille familles, cela fait trois cent mille hommes morts en une nuit pour nous venger ; et vous n’avez pas secondé votre dieu ! et vous ne nous avez pas donné ce pays fertile que rien ne pouvait défendre ! vous nous avez fait sortir de l’Égypte en larrons et en lâches, pour nous faire périr dans des déserts, entre les précipices et les montagnes ! Vous pouviez nous conduire au moins par le droit chemin dans cette terre de Chanaan sur laquelle nous n’avons nul droit, que vous nous avez promise, et dans laquelle nous n’avons pu encore entrer.

Il était naturel que de la terre de Gessen nous marchassions vers Tyr et Sidon, le long de la Méditerranée ; mais vous nous faites passer l’isthme de Suez presque tout entier ; vous nous faites rentrer en Égypte, remonter jusque par delà Memphis, et nous nous trouvons à Béel-Sephon, au bord de la mer Rouge, tournant le dos à la terre de Chanaan, ayant marché quatre-vingts lieues