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ŒDIPE.

Que daigner un moment combattre l’imposture.
Votre cœur m’est connu, vous avez eu ma foi,
Et vous ne pouvez point être indigne de moi.
Oubliez ces Thébains que les dieux abandonnent,
Trop dignes de périr depuis qu’ils vous soupçonnent.
Fuyez-moi, c’en est fait : nous nous aimions en vain ;
Les dieux vous réservaient un plus noble destin ;
Vous étiez né pour eux : leur sagesse profonde
N’a pu fixer dans Thèbes un bras utile au monde,
Ni souffrir que l’amour, remplissant ce grand cœur,
Enchaînât près de moi votre obscure valeur.
Non, d’un lien charmant le soin tendre et timide
Ne doit point occuper le successeur d’Alcide :
De toutes vos vertus comptable à leurs besoins,
Ce n’est qu’aux malheureux que vous devez vos soins.
Déjà de tous côtés les tyrans reparaissent ;
Hercule est sous la tombe et les monstres renaissent :
Allez, libre des feux dont vous fûtes épris,
Partez, rendez Hercule à l’univers surpris.
   Seigneur, mon époux vient, souffrez que je vous laisse :
Non que mon cœur troublé redoute sa faiblesse ;
Mais j’aurais trop peut-être à rougir devant vous,
Puisque je vous aimais, et qu’il est mon époux.


Scène IV.

ŒDIPE, PHILOCTÈTE, ARASPE.
Œdipe.

Araspe, c’est donc là le prince Philoctète ?

Philoctète.

Oui, c’est lui qu’en ces murs un sort aveugle jette,
Et que le ciel encore, à sa perte animé,
À souffrir des affronts n’a point accoutumé.
Je sais de quels forfaits on veut noircir ma vie ;
Seigneur, n’attendez pas que je m’en justifie ;
J’ai pour vous trop d’estime, et je ne pense pas
Que vous puissiez descendre à des soupçons si bas.
Si sur les mêmes pas nous marchons l’un et l’autre,
Ma gloire d’assez près est unie à la vôtre.
Thésée, Hercule, et moi, nous vous avons montré