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ŒDIPE.

Égine, après les nœuds qu’il a fallu briser,
Il manquait à mes maux de l’entendre accuser.
Apprends que ces soupçons irritent ma colère,
Et qu’il est vertueux, puisqu’il m’avait su plaire.

Égine.

Cet amour si constant…

Jocaste.

Cet amour si constant…Ne crois pas que mon cœur
De cet amour funeste ait pu nourrir l’ardeur ;
Je l’ai trop combattu. Cependant, chère Égine,
Quoi que fasse un grand cœur où la vertu domine,
On ne se cache point ces secrets mouvements,
De la nature en nous indomptables enfants ;
Dans les replis de l’âme ils viennent nous surprendre ;
Ces feux qu’on croit éteints renaissent de leur cendre :
Et la vertu sévère, en de si durs combats,
Résiste aux passions et ne les détruit pas.

Égine.

Votre douleur est juste autant que vertueuse,
Et de tels sentiments…

Jocaste.

Et de tels sentiments…Que je suis malheureuse !
Tu connais, chère Égine, et mon cœur et mes maux ;
J’ai deux fois de l’hymen allumé les flambeaux ;
Deux fois, de mon destin subissant l’injustice,
J’ai changé d’esclavage, ou plutôt de supplice ;
Et le seul des mortels dont mon cœur fut touché
À mes vœux pour jamais devait être arraché.
Pardonnez-moi, grands dieux, ce souvenir funeste ;
D’un feu que j’ai dompté c’est le malheureux reste.
Égine, tu nous vis l’un de l’autre charmés,
Tu vis nos nœuds rompus aussitôt que formés :
Mon souverain m’aima, m’obtint malgré moi-même ;
Mon front chargé d’ennuis fut ceint du diadème ;
Il fallut oublier dans ses embrassements
Et mes premiers amours, et mes premiers serments.
Tu sais qu’à mon devoir tout entière attachée,
J’étouffai de mes sens la révolte cachée ;
Que, déguisant mon trouble et dévorant mes pleurs,
Je n’osais à moi-même avouer mes douleurs…

Égine.

Comment donc pouviez-vous du joug de l’hyménée