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ZAÏRE.


Peut-être, de Zaïre en secret adoré,
Il pardonne aux combats de ce cœur déchiré ;
Peut-être, en me laissant au trône de Syrie,
Il soutiendrait par moi les chrétiens de l’Asie.
Fatime, tu le sais, ce puissant Saladin,
Qui ravit à mon sang l’empire du Jourdain,
Qui fit comme Orosmane admirer sa clémence,
Au sein d’une chrétienne il avait pris naissance.

fatime.

Ah ! ne voyez-vous pas que pour vous consoler…

zaïre.

Laisse-moi ; je vois tout ; je meurs sans m’aveugler :
Je vois que mon pays, mon sang, tout me condamne ;
Que je suis Lusignan, que j’adore Orosmane ;
Que mes vœux, que mes jours à ses jours sont liés.
Je voudrais quelquefois me jeter à ses pieds,
De tout ce que je suis faire un aveu sincère.

fatime.

Songez que cet aveu peut perdre votre frère,
Expose les chrétiens, qui n’ont que vous d’appui,
Et va trahir le Dieu qui vous rappelle à lui.

zaïre.

Ah ! si tu connaissais le grand cœur d’Orosmane !

fatime.

Il est le protecteur de la loi musulmane,
Et plus il vous adore, et moins il peut souffrir
Qu’on vous ose annoncer un Dieu qu’il doit haïr.
Le pontife à vos yeux en secret va se rendre,
Et vous avez promis…

zaïre.

Eh bien ! il faut l’attendre,
J’ai promis, j’ai juré de garder ce secret :
Hélas ! qu’à mon amant je le tais à regret !
Et pour comble d’horreur je ne suis plus aimée.



Scène II.

OROSMANE, ZAÏRE.
Orosmane.

Madame, il fut un temps où mon âme charmée,