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ACTE II, SCÈNE III.


Zaïre.

Depuis que je respire,
Seigneur… eh quoi ! d’où vient que votre âme soupire ?
            (Elle lui donne la croix.)

Lusignan.

Ah ! daignez confier à mes tremblantes mains…

Zaïre.

De quel trouble nouveau tous mes sens sont atteints !
            (Il l’approche de sa bouche en pleurant.)
Seigneur, que faites-vous ?

Lusignan.

Ô ciel ! ô Providence !
Mes yeux, ne trompez point ma timide espérance ;
Serait-il bien possible ? oui, c’est elle… je vois
Ce présent qu’une épouse avait reçu de moi,
Et qui de mes enfants ornait toujours la tête,
Lorsque de leur naissance on célébrait la fête ;
Je revois… je succombe à mon saisissement.

Zaïre.

Qu’entends-je ? et quel soupçon m’agite en ce moment ?
Ah, seigneur !…

Lusignan.

Dans l’espoir dont j’entrevois les charmes,
Ne m’abandonnez pas, Dieu qui voyez mes larmes !
Dieu mort sur cette croix, et qui revis pour nous.
Parle, achève, ô mon Dieu ! ce sont là de tes coups.
Quoi ! madame, en vos mains elle était demeurée ?
Quoi ! tous les deux captifs, et pris dans Césarée ?

Zaïre.

Oui, seigneur.

Nérestan.

Se peut-il ?

Lusignan.

Leur parole, leurs traits,
De leur mère en effet sont les vivants portraits.
Oui, grand Dieu ! tu le veux, tu permets que je voie !…
Dieu, ranime mes sens trop faibles pour ma joie !
Madame… Nérestan… soutiens-moi, Chatillon…
Nérestan, si je dois vous nommer de ce nom,
Avez-vous dans le sein la cicatrice heureuse,
Du fer dont à mes yeux une main furieuse…