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ZAÏRE.


Nérestan.

Mais ce même héros, pour briser ses liens,
Voudra-t-il qu’on s’abaisse à ces honteux moyens ?
Et quand il le voudrait, est-il en ma puissance
D’obtenir de Zaïre un moment d’audience ?
Croyez-vous qu’Orosmane y daigne consentir ?
Le sérail à ma voix pourra-t-il se rouvrir ?
Quand je pourrais enfin paraître devant elle,
Que faut-il espérer d’une femme infidèle,
À qui mon seul aspect doit tenir lieu d’affront,
Et qui lira sa honte écrite sur mon front ?
Seigneur, il est bien dur, pour un cœur magnanime,
D’attendre des secours de ceux qu’on mésestime :
Leurs refus sont affreux, leurs bienfaits font rougir.

Chatillon.

Songez à Lusignan, songez à le servir.

Nérestan.

Eh bien !… Mais quels chemins jusqu’à cette infidèle
Pourront… On vient à nous. Que vois-je ! ô ciel ! c’est elle.



Scène II.

ZAÏRE, CHATILLON, NÉRESTAN.
Zaïre, à Nérestan.

C’est vous, digne Français, à qui je viens parler.
Le soudan le permet, cessez de vous troubler ;
Et rassurant mon cœur, qui tremble à votre approche,
Chassez de vos regards la plainte et le reproche.
Seigneur, nous nous craignons, nous rougissons tous deux
Je souhaite et je crains de rencontrer vos yeux.
L’un à l’autre attachés depuis notre naissance,
Une affreuse prison renferma notre enfance ;
Le sort nous accabla du poids des mêmes fers.
Que la tendre amitié nous rendait plus légers.
Il me fallut depuis gémir de votre absence ;
Le ciel porta vos pas aux rives de la France :
Prisonnier dans Solyme, enfin je vous revis ;
Un entretien plus libre alors m’était permis.
Esclave dans la foule, où j’étais confondue,
Aux regards du soudan je vivais inconnue :