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FANCHON.

Qui vous dédaigne, qui prodigue avec des filles d’opéra ce que vous lui avez apporté en mariage, un débauché, un fat…

LA COMTESSE.

Ah ! ma sœur, arrêtez donc.

FANCHON.

Un petit freluquet idolâtre de sa figure, et qui est plus longtemps que nous à sa toilette, qui copie tous les ridicules de la cour sans en prendre une seule bonne qualité, qui fait l’important, qui…

LA COMTESSE.

Ma sœur, je ne puis en entendre davantage.

FANCHON.

Il ne tient pourtant qu’à vous : cela ne finira pas sitôt.

LA COMTESSE.

Il a de grands défauts, sans doute, je ne les connais que trop ; je les ai remarqués exprès, j’y ai pensé nuit et jour pour me détacher de lui, ma chère enfant ; mais, à force de les avoir toujours présents à l’esprit, enfin je m’y suis presque accoutumée comme aux miens ; et peut-être qu’avec le temps ils me seront également chers.

FANCHON.

Ah ! ma sœur, s’il vous faisait l’honneur de vous traiter comme sa femme, et si vous connaissiez sa personne aussi bien que vous connaissez ses vices, peut-être en peu de temps seriez-vous tranquille sur son compte. Enfin vous voilà donc résolue d’employer à sa conversion tout ce que vous tenez de la libéralité de mon père ?

LA COMTESSE.

Assurément : quand il n’en coûte que de l’argent pour gagner un cœur, on l’a toujours à bon marché.

FANCHON.

Oui, mais un cœur ne s’achète point : il se donne, et ne peut se vendre.

LA COMTESSE.

Quequefois on est touché des bienfaits. Ma chère enfant, je te charge de tout.

FANCHON.

Vous me donnez un emploi singulier entre un mari et sa femme. Le métier que je m’en vais faire est un peu hardi : il faudra que je prenne les apparences de la friponnerie pour faire une action de vertu. Allons, il n’y a rien qu’on ne fasse pour sa sœur.