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un mois qu’elle aurait dû m’accorder cette petite faveur. Mais que veux-tu ? les filles s’enflamment aisément et se rendent difficilement : si c’était une dame un peu accoutumée au monde, nous nous serions peut-être déjà quittés.

NUIT-BLANCHE.

Eh ! de grâce, monsieur, où avez-vous déjà fait connaissance avec cette demoiselle dont le cœur est si aisé, et l’accès si difficile ?

LE CHEVALIER.

Où je l’ai vue ? Partout, à l’opéra, au concert, à la comédie, enfin en tous les lieux où les femmes vont pour être lorgnées, et les hommes perdre leur temps. J’ai gagné sa suivante de la façon dont on vient à bout de tout, avec de l’argent : c’était à elle que tu portais toutes mes lettres, sans la connaître. Enfin, après bien des prières et des refus, elle consent à me parler ce soir. Les fenêtres de sa chambre donnent sur le jardin. On ouvre, avançons.


Scène II.

FANCHON, à la fenêtre ; LE CHEVALIER, au-dessous.
FANCHON.

Est-ce vous, monsieur le chevalier ?

LE CHEVALIER.

Oui, c’est moi, mademoiselle, qui fais, comme vous voyez, l’amour à l’espagnole, et qui serais très-heureux d’être traité à la française, et de dire à vos genoux que je vous adore, au lieu de vous le crier sous les fenêtres, au hasard d’être entendu d’autres que de vous.

FANCHON.

Cette discrétion me plaît : mais parlez-moi franchement, m’aimez-vous ?

LE CHEVALIER.

Depuis un mois, je suis triste avec ceux qui sont gais : je deviens solitaire, insupportable âmes amis et à moi-même ; je mange peu, je ne dors point : si ce n’est pas là de l’amour, c’est de la folie ; et, de façon ou d’autre, je mérite un peu de pitié.

FANCHON.

Je me sens toute disposée à vous plaindre ; mais si vous m’aimiez autant que nous dites, vous vous seriez déjà introduit auprès de mon père et de ma mère, et vous seriez le meilleur ami