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LETTRES SUR ŒDIPE.

Sans être esclave de la rime,
Ce tour aisé, cet enjoûment
Qui seul peut faire le sublime.

Que ne m’ont point coûté ces funestes talents !
Dès que j’eus bien ou mal rimé quelque sornette,
Je me vis, tout en même temps,
Affublé du nom de poëte.
Dès lors on ne fit de chanson,
On ne lâcha de vaudeville,
Que, sans rime ni sans raison,
On ne me donnât par la ville.

Sur la foi d’un ricanement,
Qui n’était que l’effet d’un gai tempérament,
Dont je fis, j’en conviens, assez peu de scrupule,
Les fats crurent qu’impunément
Personne devant moi ne serait ridicule.
Ils m’ont fait là-dessus mille injustes procès :
J’eus beau les souffrir et me taire,
On m’imputa des vers que je n’ai jamais faits ;
C’est assez que j’en susse faire.

Ces vers, monsieur, ne sont pas dignes de l’auteur de la Tocane et de la Retraite ; vous les trouverez bien plats[1], et aussi remplis de fautes que d’une vanité ridicule. Je vous les cite comme une autorité en ma faveur ; mais j’aime mieux vous citer l’autorité de Boileau. Il ne répondit un jour aux compliments d’un campagnard qui le louait d’une impertinente satire contre les évêques, très-fameuse parmi la canaille, qu’en répétant à ce pauvre louangeur :

Vient-il de la province une satire fade.
D’un plaisant du pays insipide boutade :
Pour la faire courir on dit qu’elle est de moi,
Et le sot campagnard le croit de bonne foi.

Boileau, épître VI, vers 69-72.

Je ne suis ni ne serai Boileau ; mais les mauvais vers de M. Le Brun m’ont attiré des louanges et des persécutions qu’assurément je ne méritais pas.

  1. Tout ce morceau fut retranché dans l’édition qu’on fit de ces lettres, parce qu’on ne voulut pas affliger l’abbé de Chaulieu : on doit des égards aux vivants ; on ne doit aux morts que la vérité. — Cette note est posthume, ainsi que le passage auquel elle se rapporte. Cependant la sentence qui la termine est citée par Trublet, page 139 de ses Mémoires pour servir à l’histoire de Fontenelle, 1759 ou 1761, in-12. (B.)