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ACTE IV, SCÈNE I.

Et j’ai perdu mon fils sans sauver mon époux !
Que cet exemple affreux puisse au moins vous instruire !
Bannissez cet effroi qu’un prêtre vous inspire ;
Profitez de ma faute, et calmez vos esprits.

Œdipe.

Après le grand secret que vous m’avez appris,
Il est juste à mon tour que ma reconnaissance
Fasse de mes destins l’horrible confidence.
Lorsque vous aurez su, par ce triste entretien,
Le rapport effrayant de votre sort au mien,
Peut-être, ainsi que moi, frémirez-vous de crainte.
Le destin m’a fait naître au trône de Corinthe :
Cependant de Corinthe et du trône éloigné,
Je vois avec horreur les lieux où je suis né.
Un jour, ce jour affreux, présent à ma pensée,
Jette encor la terreur dans mon âme glacée ;
Pour la première fois, par un don solennel,
Mes mains jeunes encor enrichissaient l’autel :
Du temple tout à coup les combles s’entr’ouvrirent ;
De traits affreux de sang les marbres se couvrirent ;
De l’autel ébranlé par de longs tremblements
Une invisible main repoussait mes présents ;
Et les vents, au milieu de la foudre éclatante,
Portèrent jusqu’à moi cette voix effrayante :
« Ne viens plus des lieux saints souiller la pureté ;
Du nombre des vivants les dieux t’ont rejeté ;
Ils ne reçoivent point tes offrandes impies ;
Va porter tes présents aux autels des furies ;
Conjure leurs serpents prêts à te déchirer ;
Va, ce sont là les dieux que tu dois implorer. »
Tandis qu’à la frayeur j’abandonnais mon âme,
Cette voix m’annonça, le croirez-vous, madame ?
Tout l’assemblage affreux des forfaits inouïs
Dont le ciel autrefois menaça votre fils,
Me dit que je serais l’assassin de mon père.

Jocaste.

Ah dieux !

Œdipe.

Ah dieux !Que je serais le mari de ma mère.

Jocaste.

Où suis-je ? Quel démon en unissant nos cœurs,
Cher prince, a pu dans nous rassembler tant d’horreurs ?