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ACTE IV, SCÈNE I.

Je crains que par les dieux le pontife inspiré
Sur mes destins affreux ne soit trop éclairé.
Moi, j’aurais massacré !… dieux ! Serait-il possible ?

Jocaste.

Cet organe des dieux est-il donc infaillible ?
Un ministère saint les attache aux autels ;
Ils approchent des dieux, mais ils sont des mortels.
Pensez-vous qu’en effet, au gré de leur demande,
Du vol de leurs oiseaux la vérité dépende ?
Que sous un fer sacré des taureaux gémissants
Dévoilent l’avenir à leurs regards perçants,
Et que de leurs festons ces victimes ornées
Des humains dans leurs flancs portent les destinées[1] ?
Non, non : chercher ainsi l’obscure vérité,
C’est usurper les droits de la divinité.
Nos prêtres ne sont pas ce qu’un vain peuple pense,
Notre crédulité fait toute leur science[2].

Œdipe.

Ah dieux ! S’il était vrai, quel serait mon bonheur !

Jocaste.

Seigneur, il est trop vrai ; croyez-en ma douleur.
Comme vous autrefois pour eux préoccupée,
Hélas ! Pour mon malheur je suis bien détrompée,
Et le ciel me punit d’avoir trop écouté
D’un oracle imposteur la fausse obscurité.
Il m’en coûta mon fils. Oracles que j’abhorre !
Sans vos ordres, sans vous, mon fils vivrait encore.

Œdipe.

Votre fils ! Par quel coup l’avez-vous donc perdu ?
Quel oracle sur vous les dieux ont-ils rendu ?

Jocaste.

Apprenez, apprenez, dans ce péril extrême,
Ce que j’aurais voulu me cacher à moi-même ;

  1. On lit dans le Scévole de Du Ryer :


    Donc vous vous figurez qu’une bête assommée
    Tienne notre fortune en son sein enfermée ;
    Et que des animaux les sales intestins
    Soient un temple adorable où parlent les destins. (K.)

  2. « Un comédien disait un jour dans une bonne compagnie, raconte le jésuite Nonnotte, qu’il avait toujours remarqué, lorsqu’on prononçait ces vers sur la scène, l’application qu’en faisaient en même temps les spectateurs. Sans doute que le poëte l’a également remarquée, et s’en est applaudi. »