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FAIBLE.

faut faire des systèmes, qu’à la fin nous trouverons le secret ; mais nous avons tant cherché sans rien trouver qu’à la fin on se dégoûte. C’est la philosophie paresseuse, nous crient-ils. — Non, c’est le repos raisonnable de gens qui ont couru en vain ; et après tout, philosophie paresseuse vaut mieux que théologie turbulente et chimères métaphysiques.


FAIBLE[1].


Foible, qu’on prononce faible, et que plusieurs écrivent ainsi, est le contraire de fort, et non de dur et de solide. Il peut se dire de presque tous les êtres. Il reçoit souvent l’article de : le fort et le faible d’une épée ; faible de reins ; armée faible de cavalerie ; ouvrage philosophique faible de raisonnement, etc.

Le faible du cœur n’est point le faible de l’esprit ; le faible de l’âme n’est point celui du cœur. Une âme faible est sans ressort et sans action ; elle se laisse aller à ceux qui la gouvernent.

Un cœur faible s’amollit aisément, change facilement d’inclinations, ne résiste point à la séduction, à l’ascendant qu’on veut prendre sur lui, et peut subsister avec un esprit fort : car on peut penser fortement et agir faiblement. L’esprit faible reçoit les impressions sans les combattre, embrasse les opinions sans examen, s’effraye sans cause, tombe naturellement dans la superstition.

Un ouvrage peut être faible par les pensées ou par le style : par les pensées, quand elles sont trop communes, ou lorsque, étant justes, elles ne sont pas assez approfondies ; par le style, quand il est dépourvu d’images, de tours, de figures, qui réveillent l’attention. Les oraisons funèbres de Mascaron sont faibles, et son style n’a point de vie, en comparaison de Bossuet.

Toute harangue est faible quand elle n’est pas relevée par des tours ingénieux et par des expressions énergiques ; mais un plaidoyer est faible quand, avec tout le secours de l’éloquence et toute la véhémence de l’action, il manque de raison. Nul ouvrage philosophique n’est faible, malgré la faiblesse d’un style lâche, quand le raisonnement est juste et profond. Une tragédie est faible, quoique le style en soit fort, quand l’intérêt n’est pas soutenu. La comédie la mieux écrite est faible si elle manque de ce que les

  1. Encyclopédie, tome VII, 1757. C’était au mot Faible que l’article était placé. (B.)