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LITTÉRATURE.

La littérature est précisément ce qu’était la grammaire chez les Grecs et chez les Romains ; le mot de lettre ne signifiait d’abord que gramma. Mais comme les lettres de l’alphabet sont le fondement de toutes les connaissances, on appela avec le temps grammairiens, non-seulement ceux qui enseignèrent la langue, mais ceux qui s’appliquèrent à la philologie, à l’étude des poëtes et des orateurs, aux scolies, aux discussions des faits historiques.

On donna, par exemple, le nom de grammairien à Athénée, qui vivait sous Marc-Aurèle, auteur du Banquet des Philosophes, ramas, agréable alors, de citations et de faits vrais ou faux. Aulus Gellius, qu’on appelle communément Aulu-Gelle, et qui vivait sous Adrien, est compté parmi les grammairiens à cause de ses Nuits Attiques, dans lesquelles on trouve une grande variété de critiques et de recherches ; les Saturnales de Macrobe, au ive siècle, ouvrage d’une érudition instructive et agréable, furent appelées encore l’ouvrage d’un bon grammairien.

La littérature, qui est cette grammaire d’Aulu-Gelle, d’Athénée, de Macrobe, désigne dans toute l’Europe une connaissance des ouvrages de goût, une teinture d’histoire, de poésie, d’éloquence, de critique.

Un homme qui possède les auteurs anciens, qui a comparé leurs traductions et leurs commentaires, a une plus grande littérature que celui qui, avec plus de goût, s’est borné aux bons auteurs de son pays, et qui n’a eu pour précepteur qu’un plaisir facile.

La littérature n’est point un art particulier : c’est une lumière acquise sur les beaux-arts, lumière souvent trompeuse. Homère était un génie, Zoïle un littérateur. Corneille était un génie ; un journaliste qui rend compte de ses chefs-d’œuvre est un homme de littérature. On ne distingue point les ouvrages d’un poëte, d’un orateur, d’un historien, par ce terme vague de littérature, quoique leurs auteurs puissent étaler une connaissance très-variée, et posséder tout ce qu’on entend par le mot de lettres. Racine, Roileau, Bossuet, Fénelon, qui avaient plus de littérature que leurs critiques, seraient très-mal à propos appelés des gens de lettres, des littérateurs ; de même qu’on ne se bornerait pas à dire que Newton et Locke sont des gens d’esprit.

On peut avoir de la littérature sans être ce qu’on appelle un savant. Quiconque a lu avec fruit les principaux auteurs latins dans sa langue maternelle a de la littérature ; mais le savoir demande des études plus vastes et plus approfondies. Ce ne serait pas assez de dire que le Dictionnaire de Bayle est un recueil de