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LIBERTÉ.
A.

Un proverbe n’est pas une raison ; expliquez-vous mieux.

B.

J’entends que je suis libre de vouloir comme il me plaira.

A.

Avec votre permission, cela n’a pas de sens ; ne voyez-vous pas qu’il est ridicule de dire : Je veux vouloir ? Vous voulez nécessairement, en conséquence des idées qui se sont présentées à vous. Voulez-vous vous marier, oui ou non ?

B.

Mais si je vous disais que je ne veux ni l’un ni l’autre ?

A.

Vous répondriez comme celui qui disait : Les uns croient le cardinal Mazarin mort, les autres le croient vivant, et moi, je ne crois ni l’un ni l’autre.

B.

Eh bien, je veux me marier.

A.

Ah ! c’est répondre cela. Pourquoi voulez-vous vous marier ?

B.

Parce que je suis amoureux d’une jeune fille, belle, douce, bien élevée, assez riche, qui chante très-bien, dont les parents sont de très-honnêtes gens, et que je me flatte d’être aimé d’elle, et fort bien venu de sa famille.

A.

Voilà une raison. Vous voyez que vous ne pouvez vouloir sans raison. Je vous déclare que vous êtes libre de vous marier : c’est-à-dire que vous avez le pouvoir de signer le contrat, de faire la noce, et de coucher avec votre femme.

B.

Comment ! Je ne peux vouloir sans raison ? Eh, que deviendra cet autre proverbe : Sit pro ratione voluntas ; ma volonté est ma raison, je veux parce que je veux ?

A.

Cela est absurde, mon cher ami : il y aurait en vous un effet sans cause.

B.

Quoi ! lorsque je joue à pair ou non, j’ai une raison de choisir pair plutôt qu’impair ?