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EXPIATION.

les expiations : car les maladies sont plus anciennes que la médecine, et tous les besoins ont existé avant les secours.

Il fut donc, avant tous les cultes, une religion naturelle, qui troubla le cœur de l’homme quand il eut, dans son ignorance ou dans son emportement, commis une action inhumaine. Un ami dans une querelle a tué son ami, un frère a tué son frère, un amant jaloux et frénétique a même donné la mort à celle sans laquelle il ne pouvait vivre ; un chef d’une nation a condamné un homme vertueux, un citoyen utile : voilà des hommes désespérés, s’ils sont sensibles. Leur conscience les poursuit ; rien n’est plus vrai, et c’est le comble du malheur. Il ne reste plus que deux partis, ou la réparation, ou raffermissement dans le crime. Toutes les âmes sensibles cherchent le premier parti, les monstres prennent le second.

Dès qu’il y eut des religions établies, il y eut des expiations ; les cérémonies en furent ridicules : car quel rapport entre l’eau du Gange et un meurtre ? comment un homme réparait-il un homicide en se baignant ? \ous avons déjà remarqué[1] cet excès de démence et d’absurdité, d’avoir imaginé que ce qui lave le corps lave l’âme, et enlève les taches des mauvaises actions.

L’eau du Nil eut ensuite la même vertu que l’eau du Gange : on ajoutait à ces purifications d’autres cérémonies ; j’avoue qu’elles furent encore plus impertinentes. Les Égyptiens prenaient deux boucs, et tiraient au sort lequel des deux on jetterait en bas, chargé des péchés des coupables. On donnait à ce bouc le nom d’Hazazel, l’expiateur. Quel rapport, je vous prie, entre un bouc et le crime d’un homme ?

Il est vrai que depuis Dieu permit que cette cérémonie fût sanctifiée chez les Juifs nos pères, qui prirent tant de rites égyptiaques ; mais sans doute c’était le repentir, et non le bouc, qui purifiait les âmes juives.

Jason, ayant tué Absyrthe son beau-frère, vient, dit-on, avec Médée, plus coupable que lui, se faire absoudre par Circé, reine et prêtresse d’Æa, laquelle passa depuis pour une grande magicienne. Circé les absout avec un cochon de lait et des gâteaux au sel. Cela peut faire un assez bon plat, mais cela ne peut guère ni payer le sang d’Absyrthe, ni rendre Jason et Médée plus honnêtes gens, à moins qu’ils ne témoignent un repentir sincère en mangeant leur cochon de lait.

  1. Voyez l’article Baptême, tome XVII, page 517 ; et dans les Mélanges, année 1768, le troisième entretien de l’A, B, C, dialogue.