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JUIFS.

sous Chusan Rasathaïm, roi d’Aram-Naharaïm, pendant huit ans, et sous Églon[1], roi de Moab, pendant dix-huit ans ; puis sous Jabin[2], roi de Chanaan pendant vingt ans ; puis dans le petit canton de Madian dont vous étiez venus, et où vous vécûtes dans des cavernes pendant sept ans ;

Puis en Galaad pendant dix-huit ans[3], quoique Jaïr votre prince eût trente fils, montés chacun sur un bel ânon ;

Puis sous les Phéniciens, nommés par vous Philistins, pendant quarante ans, jusqu’à ce qu’enfin le seigneur Adonaï envoya Samson, qui attacha trois cents renards l’un à l’autre par la queue, et tua mille Phéniciens avec une mâchoire d’âne, de laquelle il sortit une belle fontaine d’eau pure, qui a été très-bien représentée à la Comédie-Italienne.

Voilà de votre aveu quatre-vingt-seize ans de captivité dans la terre promise. Or il est très-probable que les Tyriens, qui étaient les facteurs de toutes les nations, et qui naviguaient jusque sur l’Océan, achetèrent plusieurs esclaves juifs, et les menèrent à Cadix, qu’ils fondèrent. Vous voyez que vous êtes bien plus anciens que vous ne pensiez. Il est très-probable en effet que vous avez habité l’Espagne plusieurs siècles avant les Romains, les Goths, les Vandales, et les Maures.

Non-seulement je suis votre ami, votre frère, mais de plus votre généalogiste.

Je vous supplie, messieurs, d’avoir la bonté de croire que je n’ai jamais cru, que je ne crois point, et que je ne croirai jamais que vous soyez descendus de ces voleurs de grand chemin à qui le roi Actisanès fit couper le nez et les oreilles, et qu’il envoya, selon le rapport de Diodore de Sicile[4], dans le désert qui est entre le lac Sirbon et le mont Sinaï, désert affreux où l’on manque d’eau et de toutes les choses nécessaires à la vie. Ils firent des

  1. C’est ce même Églon, roi de Moab, qui fut si saintement assassiné au nom du Seigneur par Aod l’ambidextre, lequel lui avait fait serment de fidélité ; et c’est ce même Aod qui fut si souvent réclamé à Paris par les prédicateurs de la Ligue. Il nous faut un Aod, il nous faut un Aod ; ils crièrent tant, qu’ils en trouvèrent un. (Note de Voltaire.)
  2. C’est sous ce Jabin que la bonne femme Jahel assassina le capitaine Sisara, en lui enfonçant un clou dans la cervelle, lequel clou le cloua fort avant dans la terre. Quel maître clou et quelle maîtresse femme que cette Jahel ! On ne lui peut comparer que Judith ; mais Judith a paru bien supérieure : car elle coupa la tête à son amant, dans son lit, après lui avoir donné ses tendres faveurs. Rien n’est plus héroïque et plus édifiant. (Id.)
  3. Juges, chapitre x. (Id.)
  4. Diodore de Sicile, livre I, section ii, chapitre xii. (Id.)