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JUIFS.

Vous voyez bien que j’étais dès lors votre serviteur, votre ami, votre frère, quoique mon père et ma mère m’eussent conservé mon prépuce.

Je sais que l’instrument ou prépucé, ou déprépucé, a causé des querelles bien funestes. Je sais ce qu’il en a coûté à Paris, fils de Priam, et à Ménélas, frère d’Agamemnon. J’ai assez lu vos livres pour ne pas ignorer que Sichem, fils d’Hémor, viola Dina, fille de Lia, laquelle n’avait que cinq ans tout au plus, mais qui était fort avancée pour son âge. Il voulut l’épouser ; les enfants de Jacob, frères de la violée, la lui donnèrent en mariage à condition qu’il se ferait circoncire, lui et tout son peuple. Quand l’opération fut faite, et que tous les Sichemites, ou Sichimites étaient au lit dans les douleurs de cette besogne, les saints patriarches Simon et Lévi les égorgèrent tous l’un après l’autre. Mais après tout, je ne crois pas qu’aujourd’hui le prépuce doive produire de si abominables horreurs : je ne pense pas surtout que les hommes doivent se haïr, se détester, s’anathématiser, se damner réciproquement le samedi et le dimanche pour un petit bout de chair de plus ou de moins.

Si j’ai dit que quelques déprépucés ont rogné les espèces à Metz, à Francfort-sur-l’Oder et à Varsovie (ce dont je ne me souviens pas)[1], je leur en demande pardon : car, étant près de finir mon pèlerinage, je ne veux point me brouiller avec Israël.

J’ai l’honneur d’être, comme on dit,

Votre, etc.


DEUXIÈME LETTRE.
De l’antiquité des Juifs.

Messieurs,

Je suis toujours convenu, à mesure que j’ai lu quelques livres d’histoire pour m’amuser, que vous êtes une nation assez ancienne, et que vous datez de plus loin que les Teutons, les Celtes, les Welches, les Sicambres, les Bretons, les Slavons, les Anglais, et les Hurons. Je vous vois rassemblés en corps de peuple dans une capitale nommée tantôt Hershalaïm, tantôt Shaheb, sur la montagne Moriah, et sur la montagne Sion, auprès d’un désert, dans

  1. C’est à Rome que Voltaire a placé des juifs rogneurs des espèces ; voyez dans les Mélanges, année 1763, les Dernières Paroles d’Épictète à son fils.