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JUIFS.

quelques empereurs romains, et à ceux qui ont été répétés tant de fois dans tous les États chrétiens, on est étonné que non-seulement ce peuple subsiste encore, mais qu’il ne soit pas moins nombreux aujourd’hui qu’il le fut autrefois. Leur nombre doit être attribué à leur exemption de porter les armes, à leur ardeur pour le mariage, à leur coutume de le contracter de bonne heure dans leurs familles, à leur loi de divorce, à leur genre de vie sobre et réglée, à leurs abstinences, à leur travail, et à leurs exercices.

Leur ferme attachement à la loi mosaïque n’est pas moins remarquable, surtout si l’on considère leurs fréquentes apostasies lorsqu’ils vivaient sous le gouvernement de leurs rois, de leurs juges, et à l’aspect de leur temple. Le judaïsme est maintenant de toutes les religions du monde celle qui est le plus rarement abjurée ; et c’est en partie le fruit des persécutions qu’elle a souffertes. Ses sectateurs, martyrs perpétuels de leur croyance, se sont regardés de plus en plus comme la source de toute sainteté, et ne nous ont envisagés que comme des Juifs rebelles qui ont changé la loi de Dieu, en suppliciant ceux qui la tenaient de sa propre main.

En effet, si, pendant que Jérusalem subsistait avec son temple, les Juifs ont été quelquefois chassés de leur patrie par les vicissitudes des empires, ils l’ont encore été plus souvent par un zèle aveugle, dans tous les pays où ils se sont habitués depuis les progrès du christianisme et du mahométisme. Aussi comparent-ils leur religion à une mère que ses deux filles, la chrétienne et la mahométane, ont accablée de mille plaies. Mais quelques mauvais traitements qu’elle en ait reçus, elle ne laisse pas de se glorifier de leur avoir donné la naissance. Elle se sert de l’une et de l’autre pour embrasser l’univers, tandis que sa vieillesse vénérable embrasse tous les temps.

Ce qu’il y a de singulier, c’est que les chrétiens ont prétendu accomplir les prophéties en tyrannisant les Juifs qui les leur avaient transmises. Nous avons déjà vu[1] comment l’Inquisition fit bannir les Juifs d’Espagne. Déduits à courir de terres en terres, de mers en mers, pour gagner leur vie ; partout déclarés incapables de posséder aucun bien-fonds, et d’avoir aucun emploi, ils se sont vus obligés de se disperser de lieux en lieux, et de ne pouvoir s’établir fixement dans aucune contrée, faute d’appui, de puissance pour s’y maintenir, et de lumières dans l’art militaire. Le commerce, profession longtemps méprisée par la plupart des

  1. Au mot Inquisition, page 477.