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JUDÉE.

Joseph, pour mériter les bonnes grâces de son roi, força tout le peuple à vendre ses terres à Pharaon ; et toute la nation se fit esclave pour avoir du blé : c’est là apparemment l’origine du pouvoir despotique. Il faut avouer que jamais roi n’avait fait un meilleur marché ; mais aussi le peuple ne devait guère bénir le premier ministre.

Enfin le père et les frères de Joseph eurent aussi besoin de blé, car « la famine désolait alors toute la terre ». Ce n’est pas la peine de raconter ici comment Joseph reçut ses frères, comment il leur pardonna et les enrichit. On trouve dans cette histoire tout ce qui constitue un poëme épique intéressant : exposition, nœud, reconnaissance, péripétie, et merveilleux ; rien n’est plus marqué au coin du génie oriental.

Ce que le bonhomme Jacob, père de Joseph, répondit à Pharaon, doit bien frapper ceux qui savent lire. « Quel âge avez-vous ? lui dit le roi. — J’ai cent trente ans, dit le vieillard, et je n’ai pas eu encore un jour heureux dans ce court pèlerinage. »



JUDÉE[1].


Je n’ai pas été en Judée, Dieu merci, et je n’irai jamais. J’ai vu des gens de toutes nations qui en sont revenus : ils m’ont tous dit que la situation de Jérusalem est horrible ; que tout le pays d’alentour est pierreux ; que les montagnes sont pelées ; que le fameux fleuve du Jourdain n’a pas plus de quarante-cinq pieds de largeur ; que le seul bon canton de ce pays est Jéricho : enfin, ils parlent tous comme parlait saint Jérôme, qui demeura si longtemps dans Bethléem, et qui peint cette contrée comme le rebut de la nature. Il dit qu’en été il n’y a pas seulement d’eau à boire. Ce pays cependant devait paraître aux Juifs un lieu de délices en comparaison des déserts dont ils étaient originaires. Des misérables qui auraient quitté les Landes, pour habiter quelques montagnes du Lampourdan, vanteraient leur nouveau séjour ; et s’ils espéraient pénétrer jusque dans les belles parties du Languedoc, ce serait là pour eux la terre promise.

Voilà précisément l’histoire des Juifs : Jéricho et Jérusalem sont Toulouse et Montpellier, et le désert de Sinaï est le pays entre Bordeaux et Bayonne.

Mais si le Dieu qui conduisait les Juifs voulait leur donner

  1. Dictionnaire philosophique, 1767. (B.)