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JÉSUITES.

Patouillet, insultait, dans des mandements d’évêque[1], des citoyens, des officiers de la maison du roi, dont les laquais n’auraient pas souffert qu’il leur parlât.

Une de leurs principales vanités était de s’introduire chez les grands dans leurs dernières maladies, comme des ambassadeurs de Dieu, qui venaient leur ouvrir les portes du ciel sans les faire passer par le purgatoire. Sous Louis XIV il n’était pas du bon air de mourir sans passer par les mains d’un jésuite ; et le croquant allait ensuite se vanter à ses dévotes qu’il avait converti un duc et pair, lequel, sans sa protection, aurait été damné.

Le mourant pouvait lui dire : « De quel droit, excrément de collége, viens-tu chez moi quand je me meurs ? Me voit-on venir dans ta cellule quand tu as la fistule ou la gangrène, et que ton corps crasseux est prêt à être rendu à la terre ? Dieu a-t-il donné à ton âme quelques droits sur la mienne ? Ai-je un précepteur à soixante-dix ans ? Portes-tu les clefs du paradis à ta ceinture ? Tu oses dire que tu es ambassadeur de Dieu : montre-moi tes patentes ; et si tu n’en as point, laisse-moi mourir en paix. Un bénédictin, un chartreux, un prémontré, ne viennent point troubler mes derniers moments : ils n’érigent point un trophée à leur orgueil sur le lit d’un agonisant ; ils restent dans leur cellule ; reste dans la tienne ; qu’y a-t-il entre toi et moi ? »

Ce fut une chose comique, dans une triste occasion, que l’empressement de ce jésuite anglais nommé Routh, à venir s’emparer de la dernière heure du célèbre Montesquieu. Il vint, dit-il, rendre cette âme vertueuse à la religion, comme si Montesquieu n’avait pas mieux connu la religion qu’un Routh, comme si Dieu eût voulu que Montesquieu pensât comme un Routh. On le chassa de la chambre, et il alla crier dans tout Paris : « J’ai converti cet homme illustre ; je lui ai fait jeter au feu ses Lettres persanes et son Esprit des lois. » On eut soin d’imprimer la relation de la conversion du président de Montesquieu par le révérend P. Routh[2], dans ce libelle intitulé Antiphilosophique[3].

  1. Voyez dans les Mélanges, année 1767, la 23e des Honnêtetés littéraires, et tome IX, page 553, une note de l’Épilogue de la Guerre de Genève.
  2. Nous avons observé déjà que l’on n’osa le chasser ; il attendit l’instant de la mort de Montesquieu pour voler ses papiers : on l’en empêcha ; mais il s’en vengea sur son vin, et l’on fut obligé de le renvoyer ivre-mort dans son couvent. (K.) — C’est dans une note sur l’Homme aux quarante écus, que les éditeurs de Kehl ont fait l’observation dont ils parlent ici.
  3. Ce libelle antiphilosophique est le Dictionnaire antiphilosophique de Chaudon (dont il a été question dans l’article Jephté), et dans la première édition duquel on a imprimé une Lettre du P. Routh sur la catholicité et les derniers moments de Montesquieu. Voyez l’Avertissement de Beuchot, tome XVII.