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INONDATION.

ans pour faire le tour de notre globe. Ce qui est très-remarquable, c’est que cette période approche fort de celle qu’il faut à l’axe de la terre pour se relever et pour coïncider avec l’équateur : mouvement très-vraisemblable, qu’on commence depuis cinquante ans à soupçonner, et qui ne peut s’effectuer que dans l’espace de deux millions et plus de trois cent mille années.

Les lits, les couches de coquilles, qu’on a découverts à quelques lieues de la mer, sont une preuve incontestable qu’elle a déposé peu à peu ses productions maritimes sur des terrains qui étaient autrefois les rivages de l’Océan ; mais que l’eau ait couvert entièrement tout le globe à la fois, c’est une chimère absurde en physique, démontrée impossible par les lois de la gravitation, par les lois des fluides, par l’insuffisance de la quantité d’eau. Ce n’est pas qu’on prétende donner la moindre atteinte à la grande vérité du déluge universel, rapporté dans le Pentateuque : au contraire ; c’est un miracle : donc il faut le croire ; c’est un miracle : donc il n’a pu être exécuté par les lois physiques.

Tout est miracle dans l’histoire du déluge : miracle, que quarante jours de pluie aient inondé les quatre parties du monde, et que l’eau se soit élevée de quinze coudées au-dessus de toutes les plus hautes montagnes ; miracle, qu’il y ait eu des cataractes, des portes, des ouvertures dans le ciel ; miracle, que tous les animaux se soient rendus dans l’arche de toutes les parties du monde ; miracle, que Noé ait trouvé de quoi les nourrir pendant dix mois ; miracle, que tous les animaux aient tenu dans l’arche avec leurs provisions ; miracle, que la plupart n’y soient pas morts ; miracle, qu’ils aient trouvé de quoi se nourrir en sortant de l’arche ; miracle encore, mais d’une autre espèce, qu’un nommé Le Pelletier[1] ait cru expliquer comment tous les animaux ont pu tenir et se nourrir naturellement dans l’arche de Noé.

Or, l’histoire du déluge étant la chose la plus miraculeuse dont on ait jamais entendu parler, il serait insensé de l’expliquer : ce sont de ces mystères qu’on croit par la foi ; et la foi consiste à croire ce que la raison ne croit pas : ce qui est encore un autre miracle.

Ainsi l’histoire du déluge universel est comme celle de la tour de Babel, de l’ânesse de Balaam, de la chute de Jéricho au son des trompettes, des eaux changées en sang, du passage de la mer Rouge, et de tous les prodiges que Dieu daigna faire en faveur des élus de son peuple. Ce sont des profondeurs que l’esprit humain ne peut sonder.

  1. Voltaire a déjà parlé (tome XVIII, page 328), de ce Le Pelletier et de son arche.