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INFINI.

passé. Le temps a commencé et finira pour moi ; mais la durée est infinie.

Voilà déjà un infini de trouvé, sans pouvoir pourtant nous en former une notion claire :

On nous présente un infini en espace. Qu’entendez-vous par espace ? est-ce un être ? est-ce rien ?

Si c’est un être, de quelle espèce est-il ? vous ne pouvez me le dire. Si c’est rien, ce rien n’a aucune propriété : et vous dites qu’il est pénétrable, immense ! Je suis si embarrassé que je ne puis ni l’appeler néant, ni l’appeler quelque chose.

Je ne sais cependant aucune chose qui ait plus de propriétés que le rien, le néant. Car en partant des bornes du monde, s’il y en a, vous pouvez vous promener dans le rien, y penser, y bâtir si vous avez des matériaux ; et ce rien, ce néant ne pourra s’opposer à rien de ce que vous voudrez faire : car, n’ayant aucune propriété, il ne peut vous apporter aucun empêchement. Mais aussi, puisqu’il ne peut vous nuire en rien, il ne peut vous servir.

On prétend que c’est ainsi que Dieu créa le monde, dans le rien et de rien : cela est abstrus ; il vaut mieux sans doute penser à sa santé qu’à l’espace infini.

Mais nous sommes curieux, et il y a un espace. Notre esprit ne peut trouver ni la nature de cet espace ni sa fin. Nous l’appelons immense, parce que nous ne pouvons le mesurer. Que résulte-t-il de tout cela ? que nous avons prononcé des mots.

Étranges questions, qui confondent souvent
Le profond S’Gravesande et le subtil Mairan[1].

DE L’INFINI EN NOMBRE.

Nous avons beau désigner l’infini arithmétique par un lacs d’amour en cette façon , nous n’aurons pas une idée plus claire de cet infini numéraire. Cet infini n’est, comme les autres, que l’impuissance de trouver le bout. Nous appelons l’infini en grand un nombre quelconque qui surpassera quelque nombre que nous puissions supposer.

Quand nous cherchons l’infiniment petit, nous divisons ; et nous appelons infini une quantité moindre qu’aucune quantité assignable. C’est encore un autre nom donné à notre impuissance.

  1. Vers de Voltaire dans le deuxième de ses Discours sur l’homme.