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IMPIE.

poëmes, comme Vert-Vert, la Chartreuse[1], les Ombres, qui eurent la vogue pendant quelque temps.

Omne supervacuum pleno de pectore manat.

(Hor., de Art. poet., 337.)

On a distingué, dans le grand Dictionnaire encyclopédique, l’imagination active et la passive.

L’active est celle dont nous avons traité ; c’est ce talent de former des peintures neuves de toutes celles qui sont dans notre mémoire.

La passive n’est presque autre chose que la mémoire, même dans un cerveau vivement ému. Un homme d’une imagination active et dominante, un prédicateur de la Ligue en France, ou des puritains en Angleterre, harangue la populace d’une voix tonnante, d’un œil enflammé et d’un geste d’énergumène ; représente Jésus-Christ demandant justice au Père éternel des nouvelles plaies qu’il a reçues des royalistes, des clous que ces impies viennent de lui enfoncer une seconde fois dans les pieds et dans les mains. Vengez Dieu le père, vengez le sang de Dieu le fils, marchez sous les drapeaux du Saint-Esprit ; c’était autrefois une colombe ; c’est aujourd’hui un aigle qui porte la foudre. Les imaginations passives, ébranlées par ces images, par la voix, par l’action de ces charlatans sanguinaires, courent du prône et du prêche tuer des royalistes et se faire pendre.

Les imaginations passives vont s’émouvoir tantôt aux sermons, tantôt aux spectacles, tantôt à la Grève, tantôt au sabbat.


IMPIE[2].

Quel est l’impie ? c’est celui qui donne une barbe blanche, des pieds et des mains à l’Être des êtres, au grand Demiourgos, à l’intelligence éternelle par laquelle la nature est gouvernée. Mais ce n’est qu’un impie excusable, un pauvre impie contre lequel on ne doit pas se fâcher.

Si même il peint le grand Être incompréhensible porté sur un nuage qui ne peut rien porter ; s’il est assez bête pour mettre Dieu dans un brouillard, dans la pluie, ou sur une montagne, et pour l’entourer de petites faces rondes, joufflues, enluminées,

  1. Par Gresset.
  2. Questions sur l’Encyclopédie, septième partie, 1771. (B.)