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IDOLE, IDOLÂTRE, IDOLÂTRIE.

mais en combien d’endroits ne fait-il pas voir qu’il ne reconnaît qu’un Dieu éternel, infini ! « Notre âme, dit-il, est une émanation de la Divinité. Mes enfants, mon corps, mes esprits, me viennent de Dieu. »

Les stoïciens, les platoniciens, admettaient une nature divine et universelle ; les épicuriens la niaient. Les pontifes ne parlaient que d’un seul Dieu dans les mystères. Où étaient donc les idolâtres ? Tous nos déclamateurs crient à l’idolâtrie comme de petits chiens qui jappent quand ils entendent un gros chien aboyer.

Au reste, c’est une des plus grandes erreurs du Dictionnaire de Moréri, de dire que du temps de Théodose le Jeune il ne resta plus d’idolâtres que dans les pays reculés de l’Asie et de l’Afrique. Il y avait dans l’Italie beaucoup de peuples encore Gentils, même au viie siècle. Le nord de l’Allemagne, depuis le Veser, n’était pas chrétien du temps de Charlemagne. La Pologne et tout le Septentrion restèrent longtemps après lui dans ce qu’on appelle idolâtrie. La moitié de l’Afrique, tous les royaumes au delà du Gange, le Japon, la populace de la Chine, cent hordes de Tartares, ont conservé leur ancien culte. Il n’y a plus en Europe que quelques Lapons, quelques Samoyèdes, quelques Tartares, qui aient persévéré dans la religion de leurs ancêtres.

[1]Finissons par remarquer que, dans les temps qu’on appelle parmi nous le moyen âge, nous appelions le pays des mahométans la Paganie ; nous traitions d’idolâtres, d’adorateurs d’images, un peuple qui a les images en horreur. Avouons, encore une fois, que les Turcs sont plus excusables de nous croire idolâtres quand ils voient nos autels chargés d’images et de statues.

[2]Un gentilhomme du prince Ragotski m’a assuré sur son honneur qu’étant entré dans un café à Constantinople, la maîtresse ordonna qu’on ne le servît point, parce qu’il était idolâtre. Il était protestant ; il lui jura qu’il n’adorait ni hostie ni images. « Ah ! si cela est, lui dit cette femme, venez chez moi tous les jours, vous serez servi pour rien. »

  1. Cet alinéa n’est point dans la version qui fait partie de l’Encyclopédie, mais était dans le Dictionnaire philosophique, en 1764, et dans les Questions sur l’Encyclopédie, en 1771. (B.)
  2. Cet alinéa parut pour la première fois en 1771, dans la septième partie des Questions sur l’Encyclopédie. (B.)