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IDOLE, IDOLÂTRE, IDOLÂTRIE.

Il est vrai que, chez les Juifs, Jephté sacrifia sa fille, et que Saül fut prêt d’immoler son fils ; il est vrai que ceux qui étaient voués au Seigneur par anathème ne pouvaient être rachetés ainsi qu’on rachetait les bêtes, et qu’il fallait qu’ils périssent.

Nous parlons ailleurs des victimes humaines sacrifiées dans toutes les religions[1].

Pour consoler le genre humain de cet horrible tableau, de ces pieux sacriléges, il est important de savoir que, chez presque toutes les nations nommées idolâtres, il y avait la théologie sacrée et l’erreur populaire, le culte secret et les cérémonies publiques, la religion des sages et celle du vulgaire. On n’enseignait qu’un seul Dieu aux initiés dans les mystères : il n’y a qu’à jeter les yeux sur l’hymne attribué à l’ancien Orphée, qu’on chantait dans les mystères de Cérés Éleusine, si célèbre en Europe et en Asie. « Contemple la nature divine, illumine ton esprit, gouverne ton cœur, marche dans la voie de la justice, que le Dieu du ciel et de la terre soit toujours présent à tes yeux ; il est unique, il existe seul par lui-même, tous les êtres tiennent de lui leur existence ; il les soutient tous : il n’a jamais été vu des mortels, et il voit toutes choses. »

Qu’on lise encore ce passage du philosophe Maxime de Madaure, que nous avons déjà cité[2] : « Quel homme est assez grossier, assez stupide pour douter qu’il soit un Dieu suprême, éternel, infini, qui n’a rien engendré de semblable à lui-même, et qui est le père commun de toutes choses ? »

Il y a mille témoignages que les sages abhorraient non-seulement l’idolâtrie, mais encore le polythéisme.

Épictète, ce modèle de résignation et de patience, cet homme si grand dans une condition si basse, ne parle jamais que d’un seul Dieu. Relisez encore cette maxime : « Dieu m’a créé, Dieu est au dedans de moi ; je le porte partout. Pourrai-je le souiller par des pensées obscènes, par des actions injustes, par d’infâmes désirs ? Mon devoir est de remercier Dieu de tout, de le louer de tout, et de ne cesser de le bénir qu’en cessant de vivre. » Toutes les idées d’Épictète roulent sur ce principe. Est-ce là un idolâtre?

Marc-Aurèle, aussi grand peut-être sur le trône de l’empire romain qu’Épictète dans l’esclavage, parle souvent, à la vérité, des dieux, soit pour se conformer au langage reçu, soit pour exprimer des êtres mitoyens entre l’Être suprême et les hommes ;

  1. Voyez tome XI, page 103, et ci après l’article Jephté.
  2. Tome XVIII, page 361.