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HISTOIRE.
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Ce qui répugne au cours ordinaire de la nature ne doit point être cru, à moins qu’il ne soit attesté par des hommes animés visiblement de l’esprit divin, et qu’il soit impossible de douter de leur inspiration. Voilà pourquoi, à l’article Certitude du Dictionnaire encyclopédique, c’est un grand paradoxe de dire qu’on devrait croire aussi bien tout Paris qui affirmerait avoir vu ressusciter un mort, qu’on croit tout Paris quand il dit qu’on a gagné la bataille de Fontenoy. Il paraît évident que le témoignage de tout Paris sur une chose improbable ne saurait être égal au témoignage de tout Paris sur une chose probable. Ce sont là les premières notions de la saine logique. Un tel dictionnaire ne devait être consacré qu’à la vérité[1].

INCERTITUDE DE L’HISTOIRE.

On distingue les temps en fabuleux et historiques. Mais les historiques auraient dû être distingués eux-mêmes en vérités et en fables. Je ne parle pas ici de fables reconnues aujourd’hui pour telles : il n’est pas question, par exemple, des prodiges dont Tite-Live a embelli ou gâté son histoire ; mais, dans les faits les plus reçus, que de raisons de douter !

Qu’on fasse attention que la république romaine a été cinq cents ans sans historiens ; que Tite-Live lui-même déplore la perte des autres monuments qui périrent presque tous dans l’incendie de Rome, pleraque interiere ; qu’on songe que dans les trois cents premières années l’art d’écrire était très-rare, raræ per eadem tempora litteræ ; il sera permis alors de douter de tous les événements qui ne sont pas dans l’ordre ordinaire des choses humaines.

Sera-t-il bien probable que Romulus, le petit-fils du roi des Sabins, aura été forcé d’enlever des Sabines pour avoir des femmes ? L’histoire de Lucrèce sera-t-elle bien vraisemblable ? Croira-t-on aisément, sur la foi de Tite-Live, que le roi Porsenna s’enfuit plein d’admiration pour les Romains, parce qu’un

  1. Voyez l’article Certain, Certitude. (Note de Voltaire.)