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HISTOIRE.

blerions alors à un homme qui quitterait Tacite et Tite-Live pour étudier sérieusement les Mille et une Nuits. Toutes les origines des peuples sont visiblement des fables ; la raison en est que les hommes ont dû vivre longtemps en corps de peuples, et apprendre à faire du pain et des habits (ce qui était difficile), avant d’apprendre à transmettre toutes leurs pensées à la postérité (ce qui était plus difficile encore). L’art d’écrire n’a pas certainement plus de six mille ans chez les Chinois ; et, quoi qu’en aient dit les Chaldéens et les Égyptiens, il n’y a guère d’apparence qu’ils aient su plus tôt écrire et lire couramment.

L’histoire des temps antérieurs ne put donc être transmise que de mémoire ; et on sait assez combien le souvenir des choses passées s’altère de génération en génération. C’est l’imagination seule qui a écrit les premières histoires. Non-seulement chaque peuple inventa son origine, mais il inventa aussi l’origine du monde entier.

Si l’on en croit Sanchoniathon , les choses commencèrent d’abord par un air épais que le vent raréfia ; le désir et l’amour en naquirent, et de l’union du désir et de l’amour furent formés les animaux. Les astres ne vinrent qu’ensuite, mais seulement pour orner le ciel, et pour réjouir la vue des animaux qui étaient sur la terre.

Le Knef des Égyptiens, leur Oshireth et leur Isheth, que nous nommons Osiris et Isis, ne sont guère moins ingénieux et moins ridicules. Les Grecs embellirent toutes ces fictions ; Ovide les recueillit et les orna des charmes de la plus belle poésie. Ce qu’il dit d’un dieu qui débrouille le chaos, et de la formation de l’homme, est sublime :

Sanctius his animal mentisque capacius altæ
Deerat adhuc, et quod dominari in cætera posset,
Natus homo est. . . .

(Met., I, 76-78.)

Pronaque cum spectent animalia cætera terram,
Os homini sublime dedit, cœlumque tueri
Jussit, et erectos ad sidera tollere vultus.

(Met., I, 84-86.)

Il s’en faut bien qu’Hésiode et les autres qui écrivirent si longtemps auparavant se soient exprimés avec cette sublimité élégante. Mais, depuis ce beau moment où l’homme fut formé jusqu’au temps des olympiades, tout est plongé dans une obscurité profonde.