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HISTOIRE.

autre ; ils ne sont tout au plus que probables dans leur origine, quand ils ne choquent point le sens commun, et ils perdent un degré de probabilité à chaque génération. Avec le temps la fable se grossit, et la vérité se perd : de là vient que toutes les origines des peuples sont absurdes. Ainsi les Égyptiens avaient été gouvernés par les dieux pendant beaucoup de siècles ; ils l’avaient été ensuite par des demi-dieux ; enfin ils avaient eu des rois pendant onze mille trois cent quarante ans : et le soleil dans cet espace de temps avait changé quatre fois d’orient et d’occident.

Les Phéniciens du temps d’Alexandre prétendaient être établis dans leur pays depuis trente mille ans ; et ces trente mille ans étaient remplis d’autant de prodiges que la chronologie égyptienne. J’avoue qu’il est physiquement très-possible que la Phénicie ait existé non-seulement trente mille ans, mais trente mille milliards de siècles, et qu’elle ait éprouvé, ainsi que le reste du globe, trente millions de révolutions. Mais nous n’en avons pas de connaissance.

On sait quel merveilleux ridicule règne dans l’ancienne histoire des Grecs.

Les Romains, tout sérieux qu’ils étaient, n’ont pas moins enveloppé de fables l’histoire de leurs premiers siècles. Ce peuple, si récent en comparaison des nations asiatiques, a été cinq cents années sans historiens. Ainsi il n’est pas surprenant que Romulus ait été le fils de Mars, qu’une louve ait été sa nourrice, qu’il ait marché avec mille hommes de son village de Rome contre vingt-cinq mille combattants du village des Sabins ; qu’ensuite il soit devenu dieu ; que Tarquin l’Ancien ait coupé une pierre avec un rasoir, et qu’une vestale ait tiré à terre un vaisseau avec sa ceinture, etc.

Les premières annales de toutes nos nations modernes ne sont pas moins fabuleuses. Les choses prodigieuses et improbables doivent être quelquefois rapportées, mais comme des preuves de la crédulité humaine : elles entrent dans l’histoire des opinions et des sottises ; mais le champ est trop immense.

DES MONUMENTS.

Pour connaître avec un peu de certitude quelque chose de l’histoire ancienne, il n’est qu’un seul moyen, c’est de voir s’il reste quelques monuments incontestables. Nous n’en avons que trois par écrit :

Le premier est le recueil des observations astronomiques faites pendant dix-neuf cents ans de suite à Babylone, envoyées par Alexandre en Grèce. Cette suite d’observations, qui remonte