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HÉRÉSIE.

ne fît couper le cou à saint Martin comme à un hérétique. Il fut bien heureux de sortir de Trêves, et de s’en retourner à Tours.

Il ne faut qu’un exemple pour établir un usage. Le premier qui chez les Scythes fouilla dans la cervelle de son ennemi, et fit une coupe de son crâne, fut suivi par tout ce qu’il y avait de plus illustre chez les Scythes. Ainsi fut consacrée la coutume d’employer des bourreaux pour couper des opinions.

On ne vit jamais d’hérésie chez les anciennes religions, parce qu’elles ne connurent que la morale et le culte. Dès que la métaphysique fut un peu liée au christianisme, on disputa ; et de la dispute naquirent différents partis, comme dans les écoles de philosophie. Il était impossible que cette métaphysique ne mêlât pas ses incertitudes à la foi qu’on devait à Jésus-Christ. Il n’avait rien écrit, et son incarnation était un problème que les nouveaux chrétiens qui n’étaient pas inspirés par lui-même résolvaient de plusieurs manières différentes. Chacun prenait parti, comme dit expressément saint Paul[1] ; les uns étaient pour Apollos, les autres pour Céphas.

Les chrétiens en général s’appelèrent longtemps nazaréens ; et même les Gentils ne leur donnèrent guère d’autre nom dans les deux premiers siècles. Mais il y eut bientôt une école particulière de nazaréens qui eurent un évangile différent des quatre canoniques. On a même prétendu que cet évangile ne différait que très-peu de celui de saint Matthieu, et lui était antérieur. Saint Épiphane et saint Jérôme placent les nazaréens dans le berceau du christianisme.

Ceux qui se crurent plus savants que les autres prirent le titre de gnostiques, les connaisseurs ; et ce nom fut longtemps si honorable que saint Clément d’Alexandrie, dans ses Stromates[2], appelle toujours les bons chrétiens vrais gnostiques, « Heureux ceux qui sont entrés dans la sainteté gnostique ! »

« Celui qui mérite le nom de gnostique[3] résiste aux séducteurs, et donne à quiconque demande. »

Les cinquième et sixième livres des Stromates ne roulent que sur la perfection du gnostique.

Les ébionites étaient incontestablement du temps des apôtres ; ce nom, qui signifie pauvre, leur rendait chère la pauvreté dans laquelle Jésus était né[4].

  1. I. Aux Corinth., chapitre i, v. 11 et 12. (Note de Voltaire.)
  2. Livre I, no 7. (Ib.)
  3. Livre IV, no 4. (Ib.)
  4. Il paraît peu vraisemblable que les autres chrétiens les aient appelés ébionites pour faire entendre qu’ils étaient pauvres d’entendement. On prétend qu’ils croyaient Jésus fils de Joseph. (Note de Voltaire.)