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GUERRE.



GUERRE[1].


Tous les animaux sont perpétuellement en guerre ; chaque espèce est née pour en dévorer une autre. Il n’y a pas jusqu’aux moutons et aux colombes qui n’avalent une quantité prodigieuse d’animaux imperceptibles. Les mâles de la même espèce se font la guerre pour des femelles, comme Ménélas et Paris. L’air, la terre et les eaux, sont des champs de destruction.

Il semble que Dieu ayant donné la raison aux hommes, cette raison doive les avertir de ne pas s’avilir à imiter les animaux, sourtout quand la nature ne leur a donné ni armes pour tuer leurs semblables, ni instinct qui les porte à sucer leur sang.

Cependant la guerre meurtrière est tellement le partage affreux de l’homme qu’excepté deux ou trois nations il n’en est point que leurs anciennes histoires ne représentent armées les unes contre les autres. Vers le Canada homme et guerrier sont synonymes, et nous avons vu que dans notre hémisphère voleur et soldat étaient même chose[2]. Manichéens, voilà votre excuse.

Le plus déterminé des flatteurs conviendra sans peine que la guerre traîne toujours à sa suite la peste et la famine, pour peu qu’il ait vu[3] les hôpitaux des armées d’Allemagne, et qu’il ait passé dans quelques villages où il se sera fait quelque grand exploit de guerre.

C’est sans doute un très-bel art que celui qui désole les cam-

  1. Dans l’édition de 1764 du Dictionnaire philosophique, l’article commençait ainsi :

    « La famine, la peste et la guerre, sont les trois ingrédients les plus fameux de ce bas monde. On peut ranger dans la classe de la famine toutes les mauvaises nourritures où la disette nous oblige d’avoir recours pour abréger notre vie dans l’espérance de la soutenir.

    « On comprend dans la peste toutes les maladies contagieuses qui sont au nombre de deux ou trois mille. Ces deux présents nous viennent de la Providence. Mais la guerre, qui réunit tous ces dons, nous vient de l’imagination de trois ou quatre cents personnes répandues sur la surface de ce globe sous le nom de princes ou de ministres ; et c’est peut-être pour cette raison que dans plusieurs dédicaces on les appelle les images vivantes de la Divinité.

    « Le plus déterminé des flatteurs, etc. »

    La version actuelle date de 1771, Questions sur l’Encyclopédie, sixième partie. C’est à l’occasion du texte de 1764 que Larcher appela Voltaire bête féroce dont on a tout à craindre. Voyez l’Avertissement de Beuchot, tome XI.

  2. Voyez page 293.
  3. Voyez (dans les Romans) le cinquième alinéa du premier paragraphe de le Monde comme il va.