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GRÉGOIRE VII.

dire, tout est égal de part et d’autre. Mais Grégoire s’avisa de faire le prophète ; il prédit la mort de Henri IV pour l’année 1080 ; mais Henri IV fut vainqueur, et le prétendu empereur Rodolphe fut défait et tué en Thuringe par le fameux Godefroi de Bouillon, plus véritablement grand homme qu’eux tous.

Cela prouve, à mon avis, que Grégoire était encore plus enthousiaste qu’habile.

Je signe de tout mon cœur ce que dit Bayle : « Quand on s’engage à prédire l’avenir, on fait provision, sur toute chose, d’un front d’airain et d’un magasin inépuisable d’équivoques. » Mais vos ennemis se moquent de vos équivoques ; leur front est d’airain comme le vôtre, et ils vous traitent de fripon insolent et maladroit.

8° Notre grand homme finit par voir prendre la ville de Rome d’assaut en 1083 ; il fut assiégé dans le château nommé depuis Saint-Ange, par ce même empereur Henri IV qu’il avait osé déposséder. Il mourut dans la misère et dans le mépris à Salerne, sous la protection du Normand Robert Guiscard.

J’en demande pardon à Rome moderne ; mais quand je lis l’histoire des Scipion, des Caton, des Pompée, et des César, j’ai de la peine à mettre dans leur rang un moine factieux, devenu pape sous le nom de Grégoire VII.

On a donné depuis un plus beau titre à notre Grégoire ; on l’a fait saint, du moins à Rome, Ce fut le fameux cardinal Coscia qui fit cette canonisation sous le pape Benoît XIII. On imprima même un office de saint Grégoire VII, dans lequel on dit que « ce saint délivra les fidèles de la fidélité qu’ils avaient jurée à leur empereur ».

Plusieurs parlements du royaume voulurent faire brûler cette légende par les exécuteurs de leurs hautes justices ; mais le nonce Bentivoglio, qui avait pour maîtresse une actrice de l’Opéra, qu’on appelait la Constitution, et qui avait de cette actrice une fille qu’on appelait la Légende, homme d’ailleurs fort aimable et de la meilleure compagnie, obtint du ministère qu’on se contenterait de condamner la légende de Grégoire, de la supprimer, et d’en rire[1].

  1. Voyez tome XI, page 396, la note des éditeurs de Kehl sur la canonisation de Grégoire VII.