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GOUVERNEMENT.



SECTION VI[1].


TABLEAU DU GOUVERNEMENT ANGLAIS.


C’est une chose curieuse de voir comment un gouvernement s’établit. Je ne parlerai pas ici du grand Tamerlan, ou Timur-leng, parce que je ne sais pas bien précisément quel est le mystère du gouvernement du Grand Mogol. Mais nous pouvons voir plus clair dans l’administration de l’Angleterre : et j’aime mieux examiner cette administration que celle de l’Inde, attendu qu’on dit qu’il y a des hommes en Angleterre, et point d’esclaves ; et que dans l’Inde on trouve, à ce qu’on prétend, beaucoup d’esclaves, et très-peu d’hommes.

Considérons d’abord un bâtard normand qui se met en tête d’être roi d’Angleterre. Il y avait autant de droit que saint Louis en eut depuis sur le Grand-Caire. Mais saint Louis eut le malheur de ne pas commencer par se faire adjuger juridiquement l’Égypte en cour de Rome ; et Guillaume le Bâtard ne manqua pas de rendre sa cause légitime et sacrée en obtenant du pape Alexandre II un arrêt qui assurait son bon droit, sans même avoir entendu la partie adverse, et seulement en vertu de ces paroles : « Tout ce que tu auras lié sur la terre sera lié dans les cieux. » Son concurrent Harold, roi très-légitime, étant ainsi lié par un arrêt émané des cieux, Guillaume joignit à cette vertu du siége universel une vertu un peu plus forte, ce fut la victoire d’Hastings. Il régna donc par le droit du plus fort, ainsi qu’avaient régné Pépin et Clovis en France, les Goths et les Lombards en Italie, les Visigoths et ensuite les Arabes en Espagne, les Vandales en Afrique, et tous les rois de ce monde les uns après les autres.

Il faut avouer encore que notre bâtard avait un aussi juste titre que les Saxons et les Danois, qui en avaient possédé un aussi juste que celui des Romains. Et le titre de tous ces héros était celui des voleurs de grand chemin, ou bien, si vous voulez, celui des renards et des fouines quand ces animaux font des conquêtes dans les basses-cours.

Tous ces grands hommes étaient si parfaitement voleurs de grand chemin que, depuis Romulus jusqu’aux flibustiers, il n’est question que de dépouilles opimes, de butin, de pillage, de vaches et de bœufs volés à main armée. Dans la fable, Mercure vole les

  1. Voyez la note 2 de la page 284.