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GOUVERNEMENT.

ne s’entendit, chacun demeura dans son opinion sans en avoir une bien certaine ; et ils s’en retournèrent chez eux sans avoir rien conclu, chacun louant sa patrie par vanité, et s’en plaignant par sentiment.

Quelle est donc la destinée du genre humain ! presque nul grand peuple n’est gouverné par lui-même.

Partez de l’Orient pour faire le tour du monde : le Japon a fermé ses ports aux étrangers, dans la juste crainte d’une révolution affreuse.

La Chine a subi cette révolution ; elle obéit à des Tartares moitié Mantchoux, moitié Huns ; l’Inde, à des Tartares Mogols. L’Euphrate, le Nil, l’Oronte, la Grèce, l’Épire, sont encore sous le joug des Turcs. Ce n’est point une race anglaise qui règne en Angleterre : c’est une famille allemande, qui a succédé à un prince hollandais, et celui-ci à une famille écossaise, laquelle avait succédé à une famille angevine, qui avait remplacé une famille normande, qui avait chassé une famille saxonne et usurpatrice. L’Espagne obéit à une famille française, qui succéda à une race autrichienne ; cette autrichienne, à des familles qui se vantaient d’être Visigothes ; ces Visigoths avaient été chassés longtemps par des Arabes, après avoir succédé aux Romains, qui avaient chassé les Carthaginois.

La Gaule obéit à des Francs, après avoir obéi à des préfets romains.

Les mêmes bords du Danube ont appartenu aux Germains, aux Romains, aux Abares, aux Slaves, aux Bulgares, aux Huns, à vingt familles différentes, et presque toutes étrangères.

Et qu’a-t-on vu de plus étranger à Rome que tant d’empereurs nés dans des provinces barbares, et tant de papes nés dans des provinces non moins barbares ? Gouverne qui peut. Et quand on est parvenu à être le maître, on gouverne comme on peut[1].

SECTION III[2].

Un voyageur racontait ce qui suit, en 1769 :

J’ai vu dans mes courses un pays assez grand et assez peuplé, dans lequel toutes les places s’achètent, non pas en secret et pour frauder la loi comme ailleurs, mais publiquement et pour

  1. Voyez l’article Lois. (Note de Voltaire.)
  2. Voyez la note 2 de la page 284.