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GÉOGRAPHIE.

tieux. Ils ont relégué dans les écoles mille disputes puériles, qui étaient autrefois dangereuses, et qu’ils ont rendues méprisables : par là ils ont en effet servi l’État. On est quelquefois étonné que ce qui bouleversait autrefois le monde ne le trouble plus aujourd’hui: c’est aux véritables gens de lettres qu’on en est redevable.

Ils ont d’ordinaire plus d’indépendance dans l’esprit que les autres hommes ; et ceux qui sont nés sans fortune trouvent aisément dans les fondations de Louis XIV de quoi affermir en eux cette indépendance. On ne voit point, comme autrefois, de ces épîtres dédicatoires que l’intérêt et la bassesse offraient à la vanité.

Un homme de lettres n’est pas ce qu’on appelle un bel esprit : le bel esprit seul suppose moins de culture, moins d’étude, et n’exige nulle philosophie ; il consiste principalement dans l’imagination brillante, dans les agréments de la conversation, aidés d’une lecture commune. Un bel esprit peut aisément ne point mériter le titre d’homme de lettres, et l’homme de lettres peut ne point prétendre au brillant du bel esprit.

Il y a beaucoup de gens de lettres qui ne sont point auteurs, et ce sont probablement les plus heureux. Ils sont à l’abri du dégoût que la profession d’auteur entraîne quelquefois, des querelles que la rivalité fait naître, des animosités de parti, et des faux jugements ; ils jouissent plus de la société ; ils sont juges, et les autres sont jugés.


GÉOGRAPHIE[1].

La géographie est une de ces sciences qu’il faudra toujours perfectionner. Quelque peine qu’on ait prise, il n’a pas été possible jusqu’à présent d’avoir une description exacte de la terre. Il faudrait que tous les souverains s’entendissent et se prêtassent des secours mutuels pour ce grand ouvrage. Mais ils se sont presque toujours plus appliqués à ravager le monde qu’à le mesurer.

Personne encore n’a pu faire une carte exacte de la haute Égypte, ni des régions baignées par la mer Rouge, ni de la vaste Arabie.

Nous ne connaissons de l’Afrique que ses côtes ; tout l’intérieur est aussi ignoré qu’il l’était du temps d’Atlas et d’Hercule. Pas une seule carte bien détaillée de tout ce que le Turc possède en Asie.

  1. Questions sur l’Encyclopédie, sixième partie, 1771. (B.)