Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome19.djvu/255

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
245
245
GÉNIE.

Enfin chacun avouera, pour peu qu’on ait de conscience, que nous respectons les génies qui ont ébauché les arts, et que les esprits qui les ont perfectionnés sont plus à notre usage.


SECTION II[1].


L’article Génie a été traité dans le grand Dictionnaire par des hommes qui en avaient[2]. On n’osera donc dire que peu de chose après eux.

Chaque ville, chaque homme ayant eu autrefois son génie, on s’imagina que ceux qui faisaient des choses extraordinaires étaient inspirés par ce génie. Les neuf muses étaient neuf génies qu’il fallait invoquer ; c’est pourquoi Ovide (Fastes, VI, 5) dit :

Est deus in nobis, agitante calescimus illo.

Il est un dieu dans nous, c’est lui qui nous anime.

Mais au fond, le génie est-il autre chose que le talent ? Qu’est-ce que le talent, sinon la disposition à réussir dans un art ? Pourquoi disons-nous le génie d’une langue ? C’est que chaque langue, par ses terminaisons, par ses articles, ses participes, ses mots plus ou moins longs, aura nécessairement des propriétés que d’autres langues n’auront pas. Le génie de la langue française sera plus fait pour la conversation, parce que sa marche nécessairement simple et régulière ne gênera jamais l’esprit. Le grec et le latin auront plus de variété. Nous avons remarqué ailleurs[3] que nous ne pouvons dire « Théophile a pris soin des affaires de César » que de cette seule manière ; mais en grec et en latin on peut transporter les cinq mots qui composeront cette phrase en cent vingt façons différentes, sans gêner en rien le sens.

Le style lapidaire sera plus dans le génie de la langue latine que dans celui de la française et de l’allemande.

On appelle génie d’une nation le caractère, les mœurs, les talents principaux, les vices même, qui distinguent un peuple d’un autre. Il suffit de voir des Français, des Espagnols, et des Anglais, pour sentir cette différence.

Nous avons dit que le génie particulier d’un homme dans les arts n’est autre chose que son talent ; mais on ne donne ce nom

  1. Voyez la note, page 242.
  2. Il y a un article de Diderot et un du chevalier de Jaucourt.
  3. Page 184.