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GÉNIE.

passé pour des démons, Hercule, dans Hésiode, dit qu’un daimon lui ordonna ses travaux[1].

Le daimon ou démon de Socrate avait tant de réputation qu’Apulée, l’auteur de l’Âne d’or, qui d’ailleurs était magicien de bonne foi, dit, dans son Traité sur ce génie de Socrate, qu’il faut être sans religion pour le nier. Vous voyez qu’Apulée raisonnait précisément comme frère Garasse et frère Berthier. Tu ne crois pas ce que je crois, tu es donc sans religion. Et les jansénistes en ont dit autant à frère Berthier, et le reste du monde n’en sait rien. Ces démons, dit le très-religieux et très-ordurier Apulée, sont des puissances intermédiaires entre l’éther et notre basse région. Ils vivent dans notre atmosphère, ils portent nos prières et nos mérites aux dieux. Ils en rapportent les secours et les bienfaits, comme des interprètes et des ambassadeurs. C’est par leur ministère, comme dit Platon, que s’opèrent les révélations, les présages, les miracles des magiciens.

« Cæterum sunt quædam divinæ mediæ protestates, inter summum æthera, et infimas terras, in isto intersitæ aeris spatio, per quas et desideria nostra et merita ad deos commeant. Hos grœco nomine δαίμονας nuncupant. Inter terricolas cœlicolasque vectores, hinc precum, inde donorum : qui ultro citroque portant, hinc petitiones, inde suppetias : ceu quidam utriusque interpretes, et salutigeri. Per hos eosdem, ut Plato in Symposio autumat, cuncta denuntiata, et magorum varia miracula, omnesque præsagiorum species reguntur. » (Apul., de Deo Socratis.)

Saint Augustin a daigné réfuter Apulée ; voici ses paroles :

«[2]Nous ne pouvons non plus dire que les démons ne sont ni mortels ni éternels : car tout ce qui a la vie, ou vit éternellement, ou perd par la mort la vie dont il est vivant ; et Apulée a dit que, quant au temps, les démons sont éternels. Que reste-t-il donc, sinon que les démons tenant le milieu, ils aient une chose des deux plus hautes et une chose des deux plus basses ? Ils ne sont plus dans le milieu, et ils tombent dans l’une des deux extrémités ; et comme des deux choses qui sont, soit de l’une, soit de l’autre part, il ne se peut faire qu’ils n’en aient pas deux, selon que nous l’avons montré, pour tenir le milieu, il faut qu’ils aient une chose de chacune ; et puisque l’éternité ne leur peut venir des plus basses, où elle ne se trouve pas, c’est la seule chose qu’ils

  1. Bouclier d’Hercule, v. 94. (Note de Voltaire.)
  2. Cité de Dieu, livre IX, chapitre xii, page 324, traduction de Giri. (Note de Voltaire.)