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GENÈSE.

C’est ici que les savants se révoltent plus que jamais. Quoi ! disent-ils, le fils d’un roi veut bien faire à la fille d’un vagabond l’honneur de l’épouser ; le mariage se conclut ; on comble de présents Jacob le père et Dina la fille ; le roi de Sichem daigne recevoir dans sa ville ces voleurs errants qu’on appelle patriarches ; il a la bonté incroyable, incompréhensible, de se faire circoncire, lui, son fils, sa cour et son peuple, pour condescendre à la superstition de cette petite horde, qui ne possède pas une demi-lieue de terrain en propre ! Et pour prix d’une si étonnante bonté, que font nos patriarches sacrés ? ils attendent le jour où la plaie de la circoncision donne ordinairement la fièvre. Siméon et Lévi courent par toute la ville le poignard à la main ; ils massacrent le roi, le prince son fils, et tous les habitants. L’horreur de cette Saint-Barthélemy n’est sauvée que parce qu’elle est impossible. C’est un roman abominable, mais c’est évidemment un roman ridicule. Il est impossible que deux hommes aient égorgé tranquillement tout un peuple. On a beau souffrir un peu de son prépuce entamé, on se défend contre deux scélérats, on s’assemble, on les entoure, on les fait périr par les supplices qu’ils méritent.

Mais il y a encore une impossibilité plus palpable : c’est que, par la supputation exacte des temps, Dina, cette fille de Jacob, ne pouvait alors être âgée que de trois ans, et que, si on veut forcer la chronologie, on ne pourra lui en donner que cinq tout au plus : c’est sur quoi on se récrie. On dit : Qu’est-ce qu’un livre d’un peuple réprouvé ; un livre inconnu si longtemps de toute la terre ; un livre où la droite raison et les mœurs sont outragées à chaque page, et qu’on veut nous donner pour irréfragable, pour saint, pour dicté par Dieu même ? N’est-ce pas une impiété de le croire ? N’est-ce pas une fureur d’anthropophages de persécuter les hommes sensés et modestes qui ne le croient pas ?

À cela nous répondons : l’Église dit qu’elle le croit. Les copistes ont pu mêler des absurdités révoltantes à des histoires respectables. C’est à la sainte Église seule d’en juger. Les profanes doivent se laisser conduire par elle. Ces absurdités, ces horreurs prétendues, n’intéressent point le fond de notre religion. Où en seraient les hommes si le culte et la vertu dépendaient de ce qui arriva autrefois à Sichem et à la petite Dina ?

« Voici les rois qui régnèrent dans le pays d’Édom avant que les enfants d’Israël eussent un roi. »

C’est ici le passage fameux qui a été une des grandes pierres d’achoppement. C’est ce qui a déterminé le grand Newton, le