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GÉNÉREUX, GÉNÉROSITÉ.

fondement de toute philosophie ; et nous demandons, au contraire, comment quelque chose peut en produire une autre ?

Je vous réponds qu’il m’est aussi impossible de voir clairement comment un être vient d’un autre être, que de comprendre comment il est arrivé du néant.

Je vois bien qu’une plante, un animal engendre son semblable ; mais telle est notre destinée, que nous savons parfaitement comment on tue un homme, et que nous ignorons comment on le fait naître.

Nul animal, nul végétal ne peut se former sans germe ; autrement une carpe pourrait naître sur un if, et un lapin au fond d’une rivière, sauf à y périr.

Vous voyez un gland, vous le jetez en terre, il devient chêne. Mais savez-vous ce qu’il faudrait pour que vous sussiez comment ce germe se développe et se change en chêne ? Il faudrait que vous fussiez Dieu.

Vous cherchez le mystère de la génération de l’homme ; dites-moi d’abord seulement le mystère qui lui donne des cheveux et des ongles ; dites-moi comment il remue le petit doigt quand il le veut.

Vous reprochez à mon système que c’est celui d’un grand ignorant : j’en conviens ; mais je vous répondrai ce que dit l’évêque d’Aire Montmorin à quelques-uns de ses confrères. Il avait eu deux enfants de son mariage avant d’entrer dans les ordres ; il les présenta, et on rit. « Messieurs, dit-il, la différence entre nous, c’est que j’avoue les miens. »

Si vous voulez quelque chose de plus sur la génération et sur les germes, lisez ou relisez ce que j’ai lu autrefois dans une de ces petites brochures qui se perdent quand elles ne sont pas enchâssées dans des volumes d’une taille un peu plus fournie[1].



GÉNÉREUX, GÉNÉROSITÉ[2].


La générosité est un dévouement aux intérêts des autres, qui porte à leur sacrifier ses avantages personnels. En général, au

  1. Dans les Questions sur l’Encyclopédie, cet article est terminé par l’Entretien d’un jeune marié fort naïf et d’un philosophe ; c’était la conversation qu’on trouvera dans l’Homme aux quarante écus, au chapitre intitulé Mariage de l’Homme aux quarante écus. (B.)
  2. Voltaire avait composé pour l’Encyclopédie un article Généreux (voyez sa lettre à d’Alembert du 29 novembre 1756).

    Cependant l’article Généreux ne porte pas, dans l’Encyclopédie, la signature de Voltaire ; mais il y est terminé par la note que voici : « Ce n’est là qu’une partie des idées qui étaient renfermées dans un article sur la générosité qu’on a communiqué à M. Diderot. Les bornes de cet ouvrage n’ont pas permis de faire usage de cet article en entier. »

    Est-il croyable que les éditeurs de l’Encyclopédie aient rejeté un article de Voltaire pour en admettre un d’une plume anonyme ? N’est-il pas probable au contraire que, ayant tronqué l’article de Voltaire, ils n’auront pas voulu le donner sous son nom ?

    Il est à remarquer que leur note sur l’article Généreux est sur un tout autre ton que celle qu’ils avaient mise en tête de l’article Éloquence, tome XVIII, page 513. Cette circonstance, je ne me le dissimule pas, peut motiver des doutes. Malgré cela, j’ai cru pouvoir admettre ici cet article. C’est la première fois qu’il paraît dans les Œuvres de Voltaire. Ce 24 avril 1829. (B.)