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FRANC OU FRANQ ;

presque toujours été trompés, ne sachant en effet combien ils recevaient, ni combien ils payaient réellement.

[1] Charlemagne ne se regardait pas comme un Franq ; il était né en Austrasie, et parlait la langue allemande. Son origine venait d’Arnoul, évêque de Metz, précepteur de Dagobert. Or, un homme choisi pour précepteur n’était pas probablement un Franq. Ils faisaient tous gloire de la plus profonde ignorance, et ne connaissaient que le métier des armes. Mais ce qui donne le plus de poids à l’opinion que Charlemagne regardait les Franqs comme étrangers à lui, c’est l’article iv d’un de ses capitulaires sur ses métairies : « Si les Franqs, dit-il, commettent quelques délits dans nos possessions, qu’ils soient jugés suivant leurs lois. »

La race carlovingienne passa toujours pour allemande ; le pape Adrien IV, dans sa lettre aux archevêques de Mayence, de Cologne, et de Trêves, s’exprime en ces termes remarquables : « L’empire fut transféré des Grecs aux Allemands. Le roi ne fut empereur qu’après avoir été couronné par le pape... Tout ce que l’empereur possède, il le tient de nous. Et comme Zacharie donna l’empire grec aux Allemands, nous pouvons donner celui des Allemands aux Grecs. »

Cependant la France ayant été partagée en orientale et en occidentale, et l’orientale étant l’Austrasie, ce nom de France prévalut au point que, même du temps des empereurs saxons, la cour de Constantinople les appelait toujours prétendus empereurs Franqs, comme il se voit dans les lettres de l’évêque Luitprand, envoyé de Rome à Constantinople.


DE LA NATION FRANÇAISE.


Lorsque les Francs s’établirent dans le pays des premiers Welches, que les Romains appelaient Gallia, la nation se trouva composée des anciens Celtes ou Gaulois subjugués par César, des familles romaines qui s’y étaient établies, des Germains qui y avaient déjà fait des émigrations, et enfin des Francs qui se rendirent maîtres du pays sous leur chef Clovis. Tant que la monarchie qui réunit la Gaule et la Germanie subsista, tous les peuples, depuis la source du Veser jusqu’aux mers des Gaules, portèrent le nom de Francs. Mais lorsqu’en 843, au congrès de Verdun, sous Charles le Chauve, la Germanie et la Gaule furent séparées, le nom de

  1. Cet alinéa offre beaucoup de ressemblance avec le commencement du chapitre xvii de l’Essai sur les Mœurs, tome XI, page 267.